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des grossiers symboles ou des théories enfantines qui ne peuvent que la déprécier au regard des esprits positifs. Elle a pour elle l’infini du mystère ; qu’elle s’y tienne !

Mais la science n’a pas davantage été scientifique : aux divinités éparses dans la nature, a-t-elle d’abord substitué autre chose que des forces occultes, des puissances abstraites et vaines, puis des hypothèses, des raisonnemens, des explications fictives et ambitieuses ? N’a-t-elle pas voulu d’emblée rendre compte de tout ? De telles fautes, à vrai dire, sont naturelles ; elles étaient nécessaires ; il arrive à la science d’y retomber encore et de se méconnaître ; elle y tombera de moins en moins par son progrès même, qui la rend plus modeste à mesure qu’elle devient plus précise et plus consciente. Elle a pour elle la clarté de ses lois ; qu’elle s’en contente !

La tolérance est le propre de l’évolutionniste ; car elle est le sentiment profond de la continuité dans la marche humaine, dans la vie collective ; elle est surtout la croyance instinctive et raisonnée que rien n’est définitif, ni de la religion ni du reste, que tout change, — par-là elle est désir et volonté de l’avenir, — et que le changement n’est pas brusque, — elle est par-là respect du passé. et prudence. Un vaste et libre esprit, averti de l’histoire, comprendra toujours que la croyance n’est pas dans l’existence des hommes l’accessoire ; elle fait partie de l’ordre établi ; elle est par excellence la force active. Et il n’est pas à craindre qu’une telle sagesse dégénère en inertie, en indifférence ou en scepticisme. Tout individu est une des mille forces par lesquelles opère la cause inconnue : il faut qu’il le sache et ne l’oublie jamais. « L’homme sage, dit Spencer avec un large accent, ne regarde pas la foi qu’il porte en lui-même comme un accident sans importance ; il manifeste sans crainte la vérité qu’il aperçoit. » Il veut jouer son rôle dans l’évolution.


VII

Tel est, pris à sa source même, le vivant esprit d’une œuvre immense. Elle était venue à son heure, à l’instant aigu du « Conflit. » La science, tâtonnante et éblouie, encore incertaine de sa destinée et de ses ambitions, se grisait de sa jeunesse : l’esprit religieux, inquiété de toutes parts, craignant surtout les empiétemens d’une morale nouvelle dans la direction de la