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On savait que la cour de France lui devait d’avoir gardé une certaine décence ; que, sans elle, Louis XIV et sa belle-sœur Henriette ne se seraient peut-être pas aperçus à temps qu’ils allaient s’aimer trop, qu’ils s’aimaient déjà trop et que cela faisait « beaucoup de bruit à la Cour[1]. » La Reine mère avait forcé de s’ouvrir des yeux qui voulaient rester fermés. Elle avait parlé sans ménagement, et sa rudesse avait peut-être épargné à la royauté française une souillure ineffaçable ; ce sont de ces services que les honnêtes gens n’oublient point. A la reconnaissance venait s’ajouter une admiration sincère pour son courage devant la souffrance. Elle endura sans une plainte, avec une tranquillité incroyable, neuf mois de douleurs aiguës, avivées encore par les remèdes barbares d’un défilé d’empiriques.

Dans la famille royale, les sentimens étaient mélangés. Louis XIV, — Mme de Motteville l’avait bien remarqué, — était un homme plein de « contrariétés. » Il chérissait sa mère. Pendant une première maladie, un peu avant le cancer, il l’avait soignée jour et nuit avec un dévouement, et aussi une adresse, dont les assistans s’étaient émerveillés. L’idée de la perdre lui donnait à présent des crises de sanglots à l’étouffer. En même temps, sa mère devenait de trop. Elle le gênait par sa clairvoyance. Il éprouvait un soulagement dont il ne se rendait sûrement pas compte, mais qui n’échappait pas aux observateurs, en voyant approcher le moment où elle ne serait plus là pour le regarder vivre. Lorsqu’elle fut à l’agonie, l’affection emporta tout et le Roi faillit s’évanouir. Elle était à peine enterrée, que le plaisir de se sentir libre prenait le dessus.

L’attachement de Monsieur pour sa mère était ce qu’il y avait de meilleur en lui. Son chagrin fut sans arrière-pensée, et se traduisit par le besoin d’être toujours avec elle ; — « C’était une telle puanteur, rapporte Mademoiselle, que l’on ne pouvait quasi souper…, après l’avoir vu panser : » Monsieur passait son temps dans cette chambre, et ne savait qu’inventer pour montrer sa tendresse. Il tombait quelquefois sur des idées ridicules ; mais il était touchant quand même, par sa sincérité et ses larmes intarissables. Anne d’Autriche finissait par le renvoyer. Monsieur retournait alors à ses plaisirs et s’y oubliait ; il n’aurait pas été lui, s’il avait agi autrement. A l’approche de la fin, il ne se laissa

  1. Mme de La Fayette : Histoire de Madame Henriette.