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se donner du bien-être. Sa conscience lui permettait aussi de s’approprier l’argent que sa femme lui confiait pour faire exécuter les commandes de neuvaines ; il était libertin, tout comme les Vardes et les Guiche, et convaincu que les neuvaines ne servaient absolument à rien. Quant à aller plus loin, et à mettre franchement la main à la pâte, serviteur ! Sa prudence lui réussit : il ne fut jamais inquiété ; mais elle l’exposait tous les jours de sa vie à être empoisonné dans son potage, car la Voisin ne pouvait souffrir ce poltron. Elle aurait voulu le remplacer par un véritable associé, et c’était entre eux un perpétuel assaut de ruses. Le bonhomme Antoine aurait certainement fini, malgré tout, par y passer, s’il n’avait eu l’idée ingénieuse de se lier avec un bourreau, auquel il confia sa situation. Il fut convenu entre eux que, si Montvoisin mourait avant sa femme, le bourreau parlerait et provoquerait l’ouverture du corps. La Voisin prit peur. Elle essaya de faire empoisonner son mari en voyage, n’y réussit point et, finalement, le garda.

Elle avait bénéficié, comme toute la corporation, des espérances éveillées chez nombre de jolies femmes de l’aristocratie par la disparition de la Reine mère. Anne d’Autriche avait si mal pris les premiers écarts de son fils, que les aspirantes à la succession de La Vallière en avaient conservé une certaine discrétion. Lorsqu’on n’eut plus à craindre les rebuffades de la vieille reine, les passions se déchaînèrent, et un essaim de jeunes ambitieuses s’adressèrent aux devineresses en vogue « pour parvenir aux bonnes grâces du Roi[1]. » Les plus hardies demandaient en même temps « quelque chose contre Mme de La Vallière. » Parmi ces jeunes femmes se trouvait la marquise de Montespan, qui n’aimait ni son mari ni le Roi, mais qui était harcelée par ses créanciers, consciente de sa valeur, et déterminée à être « maîtresse reconnue, » puisque aussi bien c’était une position classée et admise.

Elle était « belle comme le jour, » dit Saint-Simon, sans être « parfaitement agréable ; » le correctif est de Mme de La Fayette Elle avait tout l’esprit que l’on peut avoir, et délicieux de singularité et de politesse. Malgré tant d’éclat, le Roi l’évitait plutôt. et elle en était réduite à amuser Marie-Thérèse, qui la voyait volontiers, ayant une confiance absolue en sa vertu. La Reine

  1. Archives de la Bastille : Rapport de la Reynie, lieutenant général de police, à Louvois (1680 ; pas d’autre date).