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saule ou de buis, de rouge et de tripoli délayés dans des godets, les mains noires comme celles d’une charbonnière, elle frotte ou ponce le morceau d’ossature, l’use, le polit, le fait reluire. Elle travaille quelquefois dans l’atelier même du joaillier, mais en général en appartement, dans un atelier spécial dirigé par une patronne. Tout le monde connaît ces grandes et grouillantes ruches à commerce qui trafiquent et bourdonnent dans tant de vieilles maisons de certains vieux quartiers centraux, comme ceux du Mail et des rues Montmartre ou Gaillon. Un escalier usé par le continuel va-et-vient, et des paliers où donnent cinq ou six portes, avec une plaque de cuivre ou une carte indiquant, sur chacune, une spécialité ou une industrie : Modes, Robes, Fourrures, Bijouterie, Commission… C’est dans ces maisons-là, derrière une de ces portes, que fonctionne l’atelier de polisseuses en appartement. Elles sont, au plus, une dizaine, le plus souvent deux ou trois, et la physionomie d’ouvrière qui résulte de leur métier est sans grossièreté en même temps que sans coquetterie. La polisseuse est ce que doit la rendre logiquement le maniement d’objets précieux et de matières qui souillent, et n’exerce pas, d’ailleurs, une profession misérable. Apprentie à quatorze ans, elle peut, dès seize ans, gagner deux ou trois francs par jour, et cinq ou six dès dix-huit ans. La patronne polisseuse, quand son atelier va bien, s’y fait une moyenne de cinq à six mille francs par an.

Quant au dessinateur employé chez le grand joaillier, il y travaille à l’année. Il y fera, tous les jours, pendant trois mois, des croquis de diadèmes ou de colliers qu’on n’enverra jamais à l’atelier, puis, en une seule semaine, il en présentera trois ou quatre qui seront immédiatement exécutés. Un grand joaillier occupe ordinairement quatre dessinateurs, deux dessinateurs principaux, et deux aides-dessinateurs. Assez généralement sortis comme apprentis des ateliers de la maison, et envoyés par elle, pour les dispositions qu’ils montrent, aux cours des écoles professionnelles, ils se sont élevés, sur place, du rang d’ouvrier à celui d’employé, et gagnent, selon leur talent, de 300 à 800 francs par mois. On les voit, au magasin même, dans cette tenue de commis-gentlemen que les maisons élégantes exigent de leurs employés, achever, à une table, un projet d’orfèvrerie, jeter un motif de parure sur le papier, ou laver, avec un verre d’eau devant eux, et une petite boîte d’aquarelle, des feuillages ou des rinceaux.