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y a eu dans les actes violens et brutaux dont nous avons été depuis quelques années les témoins attristés, des choses qui nous ont beaucoup plus révoltés. Notre crainte, malheureusement, est que les mêmes violences et les mêmes brutalités n’accompagnent la séparation des deux puissances, et on conviendra qu’à voir les hommes qui se disposent aujourd’hui à effectuer l’opération, notre crainte n’est pas tout à fait chimérique. En soi, la séparation peut se défendre. En fait, que sera-t-elle ? Nul ne peut le dire ; cela dépendra de l’esprit qu’on y apportera ; mais ce qu’on peut dire comme une vérité de bon sens, c’est que, si elle est faite en dehors de toute participation de l’Église, elle sera faite contre elle et que ce n’est pas l’apaisement qu’on aura préparé.

Et sans même parler de la question de fait, il y a la question de droit. Nous savons bien qu’on fait fi volontiers, en ce moment, des questions de ce genre : cependant il est des esprits qui y tiennent, et nous en sommes. A-t-on le droit de dénoncer par un acte unilatéral un traité synallagmatique, où les deux parties se sont fait autrefois des concessions mutuelles et ne sont arrivées à se mettre d’accord que par ce moyen ? Si, en rompant le contrat, chacune des parties pouvait du moins reprendre la totalité de son apport, la réponse serait douteuse ; mais le peut-elle ? Il y a dans le Concordat un article 13 qui est ainsi conçu : « Sa Sainteté, pour le bien de la paix et l’heureux rétablissement de la religion catholique, déclare que ni elle ni ses successeurs ne troubleront en aucune manière les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés, et qu’en conséquence la propriété de ces mêmes biens, les droits et revenus y attachés, demeureront incommutables entre leurs mains, ou celles de leur ayans cause.  » Serait-on bien venu à dire aujourd’hui : — « Eh bien ! nous délions le Pape de son engagement ; qu’il conteste tant qu’il voudra la validité de l’acquisition des biens du clergé ; il en est libre ? » — Un pareil langage ne serait-il pas une hypocrisie et un manque de foi ? Après avoir bénéficié de la concession faite par Pie VII en 1801 à tel point que le souvenir de la dette est lui-même oublié, contesterait-on cette dette  ? Cependant le Premier Consul, il y a cent ans, la reconnaissait d’une manière implicite. Il savait, en tout cas, que l’engagement pris par le Pape donnerait tout de suite, ipso facto, une plus-value considérable à des propriétés qu’on regardait auparavant comme peu sûres entre les mains de leurs détenteurs ; et, si l’on songe que, plus de vingt ans après, il a fallu le milliard des émigrés pour rendre toute leur sécurité et par conséquent toute leur valeur à des propriétés du même genre,