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France, chaque homme en face des affaires publiques a surtout conscience de son isolement et de sa faiblesse : il voit extérieure à lui et irrésistible la puissance de l’Etat, et il attend ce qu’elle aura résolu, comme si la manière dont il sera gouverné regardait tout le monde sauf lui-même. Dans le Midi, les mœurs, qui assemblent par une existence plus commune les habitans, leur donnent un autre sentiment de la collectivité et de ses droits. Ils savent que c’est à eux de régler par leur volonté les intérêts généraux, que l’autorité nationale est la somme des énergies régionales, les provinces un groupement de communes, la commune une société de familles et de personnes : habitués à considérer ainsi l’individu comme la source du pouvoir public, ils sont prêts à défendre par leur initiative, partout où ils se trouvent réunis, leur part de souveraineté, et même, pour être seuls maîtres dans leurs municipes et dans leurs départemens, à usurper sur les droits de la nation.

Dans le Midi qui penche vers l’Océan, cette vie politique anime une faible minorité de la bourgeoisie : quelques avocats, médecins, négocians, échappant à l’apathie générale de leur classe, ont soulevé çà et là un petit levain d’opposition. Bourgeoise, leur influence ne s’exerce guère que dans les villes, et ne prépare aucun dessein de réforme sociale. Au moment où l’Empire s’effondre, tombe leur hostilité contre le pouvoir, puisqu’il cesse d’être occupé par leurs adversaires, et ils veulent, comme innovation nécessaire et suffisante, qu’il passe aux mains de leurs amis. Mais ils forment un parti si peu nombreux que, prétendre au pouvoir pour leurs amis, c’est le demander pour eux-mêmes. Cette conséquence leur apparaît et ne les effraie pas. La vie extérieure, la familiarité au moins verbale des populations avec les affaires publiques, ont donné à ces hommes le sentiment de leur copropriété dans le gouvernement, et ils sont prêts à étendre la main sur lui, comme sur leur bien. Sans doute, ils sont isolés et faibles ; mais la faiblesse suffit à dominer où elle ne trouve pas de résistance. Il y a des révolutions où le peuple descend sur la place publique pour agir, celles-là ne peuvent être conduites que par des forts ; il y a des révolutions où le peuple est aux fenêtres pour regarder, celles-là sont à la merci des premiers ou des derniers qui passent. Moins ils comptent sur la volonté générale pour obtenir l’autorité, plus il leur faut prendre d’autorité pour dominer la volonté générale. A l’intérêt du parti s’ajoute