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ne contestait l’unité de cette vie, et il ne témoignait qu’une ambition, celle de n’être dépassé par personne en formules jacobines, socialistes et athées. Si, par ces outrances, il offensait la raison de ses concitoyens, il séduisit d’abord, par un air de courage et de force, leur goût de rhétorique, et par son enseignement quotidien outra peu à peu les opinions d’une partie de ses lecteurs.

Ce mélange des libéraux et des révolutionnaires fut rendu plus intime par l’affaire Baudin. Le Progrès libéral et l’Émancipation avaient tous deux adhéré à la souscription pour « le martyr » du 2 décembre ; tous deux furent poursuivis et défendus ensemble par M. Jacques Piou, déjà, malgré sa jeunesse, un maître du barreau et un chef de l’opposition. Ils furent acquittés. Le gouvernement donna ordre au procureur général de faire appel. Ce magistrat, le baron Séguier, n’était pas de ceux qui se soumettent au « fait du prince ; » la souscription ne lui semblait pas un délit : plutôt que de requérir contre sa conscience il renonça à sa charge. Il y a des instans où le geste d’un homme suffit à révéler l’usure d’un régime. L’Empire était désavoué par une seule personne ; il sembla qu’avec elle une force morale se retirait de lui. Ainsi se préparèrent à Toulouse les élections générales de 1869. Les candidatures officielles furent combattues à la fois dans la Haute-Garonne par les hommes du Progrès et par ceux de l’Émancipation. Les uns et les autres échoueront. L’artificieux tracé des circonscriptions, qui divisait Toulouse entre toutes et noyait les suffrages de la ville dans ceux des campagnes, assura le succès du gouvernement. Mais, à Toulouse, les trois quarts des suffrages s’étaient prononcés contre lui, et de cette majorité les deux tiers avaient choisi les candidats de l’Émancipation ; le nom de Rémusat, symbole des idées moyennes, avait groupé moins de voix que celui de Duportal. Par le plébiscite, Toulouse ne donna à l’Empire que 9 128 « oui » contre 12 550 « non » et 9 350 abstentions. Là, plus encore, les modérés, partagés entre toutes les réponses, et ne montrant nulle part leur masse tout entière, parurent inégaux à leur nombre et inférieurs aux révolutionnaires qui firent bloc sans scrupules, menèrent la campagne et par elle accrurent leur prépondérance. Il était donc naturel que, trois mois après, quand les municipalités furent renouvelées, le choix de Toulouse se portât sur la liste soutenue par l’Émancipation.