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la veille, dont les colères n’auraient pas à redouter un pouvoir rigoureux, et dont les bras sont armés par lui, ne se montrent ni cupides ni sanguinaires. Il suffit pour les apaiser qu’ils soient par privilège les gardiens de la République, qu’un symbole de changement brille avec ces armes et ces galons refusés aux conservateurs, réservés aux démocrates. Il suffit pour réjouir le présent qu’ils aient le moyen de défendre, contre les dangers obscurs de l’avenir, les vagues dogmes de leur orthodoxie sociale. Ils occupent leur oisiveté en parades, mettent leurs griefs en chansons, et s’amusent au bruit d’une révolution chargée à blanc comme leurs fusils.

Enfin la population mise en joue ne se sent pas en péril. Trop semblable à ceux qu’elle contemple pour ne pas se reconnaître en eux, elle démêle sans colère les petits intérêts des ambitieux, s’intéresse à leurs manèges, prend plaisir aux jolis sauts qui d’un coup les portent aux sommets de leurs rêves, et sait que leur victoire, ayant besoin de repos, n’est pas immédiatement menaçante. Pourquoi craindre trop à l’avance ? Elle comprend la piété d’imagination qui exalte le parti avancé, et sa jalousie de veiller sur le régime depuis si longtemps attendu par lui. Elle voit que ces purs, s’ils font les farouches, ne sont pas des méchans ; que, s’ils se montrent terribles, ils le sont en acteurs ; et, même quand la pièce lui donne un petit frisson, elle se souvient qu’un peu de peur peut être un plaisir. Elle sait que sur les bords de la Garonne il faut beaucoup de pluie pour inonder la plaine, beaucoup de gestes pour faire une blessure, et que le tonnerre y gronde volontiers sans tomber.


ETIENNE LAMY.