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actuel, aussi longtemps que les embranchemens ne seront pas construits, il ne peut avoir aucune destination commerciale. Les officiers russes qui en ont tracé le plan semblent n’avoir eu en vue qu’un seul objet, celui de relier Vladivostock et Port-Arthur avec la ligne de Sibérie, de la manière la plus directe, afin de pouvoir expédier les troupes, en cas de besoin, avec le moins de difficulté possible, le tout étant fait sans attirer plus d’attention qu’il n’est indispensable et sans éveiller de mauvais sentimens chez les indigènes. Il est certain qu’à l’heure actuelle on peut voyager du matin au soir sans voir autre chose que les bâtimens du chemin de fer, des casernes, des campemens, et des soldats russes le long de la ligne.

Nous sommes de nouveau dans de vastes plaines, formées de riches pâturages, coupés çà et là de champs de maïs et de fèves ; la culture prend plus de place, et des récoltes de toutes sortes s’offrent à nos yeux. Le pays n’a plus la désolation du désert de Gobi ; mais il n’a pas la romantique sauvagerie de la Mandchourie centrale. Il est plus peuplé ; je commence enfin à apercevoir des hommes qui travaillent aux champs, et, dispersées, de misérables huttes, de pauvres petites fermes…


II. — DE LA GARE DE MOUKDEN A LA VILLE

Comme je regarde hors de mon wagon, je vois poindre l’aube sombre et triste. Le ciel est chargé de nuages de plomb et la pluie tombe à verse. Le train fait halte dans une mer de boue dont le quai tout entier est inondé. En fait, au milieu de ce déluge général, on pourrait presque s’imaginer qu’on met le pied hors de l’arche. A quelque distance, j’aperçois une humble bâtisse d’un étage, qui a plutôt l’air d’une hutte de paysan que d’autre chose, et je puis à peine croire que je suis à la station de Moukden, la capitale de la Mandchourie.

A ma grande consternation, j’apprends que mon train n’ira pas plus loin aujourd’hui. Il continuera peut-être demain, peut-être dans une semaine. J’ai ainsi tout le temps de visiter Moukden, quoique la ville soit à une distance de plus de vingt-cinq milles. Mais comment puis-je atteindre Moukden ? Je ne vois ni route, ni véhicule. Je m’enquiers auprès du chef de gare, qui est un officier russe à longue barbe et tout galonné d’or. Il me conseille d’envoyer mon interprète à une des fermes voisines où je pourrai