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d’intérêt. Avec son enceinte de murailles, il forme une cité dans la cité. Divisé en différentes cours, il se compose de nombreux bâtimens, maisons détachées, halls et pavillons. Pris à part, ils ne sont pas de grande importance, mais l’ensemble est bien joli. Colonnades, poutres, consoles, tout est en bois sculpté, richement peint et doré. Toute la boiserie est pourpre foncé, et les toits, comme tous les édifices en général qui appartiennent à la famille impériale ou au culte de Confucius, sont couverts de tuiles jaunes. La plus grande partie du Palais est aujourd’hui occupée par les troupes russes. A l’entrée, dans un bâtiment bas, il y a tout un détachement ; une cour découverte est garnie de canons ; et ce n’est qu’avec une permission spéciale du commandant que les sentinelles me laissent passer.

L’intérieur du Palais est dans un triste état de dilapidation. Depuis que la famille impériale est partie pour Pékin, il n’a jamais été habité ; et les fameux trésors artistiques dont il subsiste encore quelque chose sont dispersés au hasard comme dans un garde-meubles. Il y a encore quelques pièces de cloisonnés, quelques précieux jades et quelques belles porcelaines ; mais la plus grande partie a disparu après la dernière guerre. D’aucuns affirment que ces trésors furent volés par les Boxers ; suivant une autre version, il faut chercher ailleurs les voleurs. On m’a dit que la collection de vieux manuscrits et de documens officiels était d’un rare intérêt et que tout cela se trouvait maintenant préservé avec soin de la destruction dans les Archives de Saint-Pétersbourg. Je promène mon étonnement des salles de réception aux vestibules, des terrasses aux jardins. Tout est si original, si rare ! Mais ce qui frappe encore plus aujourd’hui l’observateur, c’est que ce berceau sacré des maîtres du Céleste-Empire ait pu être transformé en un camp de Cosaques. Comme je sors par la grande entrée, un guerrier moscovite est là, gardant la porte du Dragon, et sa blouse blanche s’enlève légèrement sur la lourde masse du Palais.

A mesure que le jour passe, je vois toujours plus d’occupans et, à plusieurs reprises, je passe au milieu de soldats russes, flânant par les rues, de petits détachemens en patrouille sur les remparts, d’officiers cavalcadant sur de fringans poneys et même de dames se promenant avec leur famille dans les troïkas nationales. Et ce qui est particulièrement digne de remarque, c’est que non seulement ces gens semblent être chez eux, mais