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dire sur les sujets importans, mais ils paraissent s’accommoder fort bien d’une situation qui diminue leurs responsabilités et laisse subsister tout leur salaire. Les mandarins mandchous et les généraux russes semblent marcher dans une parfaite « entente cordiale, » et, si parfois une divergence d’opinions se manifeste, les difficultés sont généralement aplanies par l’irrésistible influence et la force mystérieuse qui sort d’un nom : celui de la banque dite Russo-Chinoise.

Le fait important de ma journée est la réception officielle donnée par le gouverneur. Je suis porté en chaise au Palais, suivi de mon interprète et de mon petit état-major. Le baldaquin de la chaise est tendu de soie verte, et huit gaillards vigoureux me secouent d’une façon terrible. Les rues sont très étroites et tortueuses : en guise de pavé, de grands trous remplis de boue liquide. Je pardonne à mes porteurs d’avoir la main un peu dure. Ce qu’il est plus difficile de leur pardonner, c’est que, quand ils changent d’épaule, tout en continuant de courir, ils me laissent tomber sur le sol. Ce n’est pas d’une grande hauteur, mais je dois dire que la sensation est très angoissante ; le temps de la chute, comme dans un cauchemar, paraît sans fin, et quand on atteint le sol, on se figure qu’on est tombé au fond d’un précipice.

Enfin nous sommes devant la grande porte, ou du moins je le suppose, d’après un groupe de créatures bizarrement vêtues qui présentent les armes, — et quelles armes ! C’est une collection extraordinaire. On dirait un décor de vieille potiche chinoise : des guerriers à l’air farouche, portant des hallebardes, des javelines et des faucilles emmanchées sur des perches, se profilent sur le ciel.

Le Palais, il faut l’avouer, est une pauvre bâtisse, vu du dehors. On contourne le vaste pan de mur qui se dresse devant l’entrée principale, ornée d’un dragon peint, pour effrayer tous les mauvais esprits et, m’a-t-on dit, les « diables blancs » ; la cour intérieure n’est pas plus séduisante. En fait, c’est une cour d’écurie avec quelques chevaux attachés à leur stalle, et des hangars pour les soldats et les serviteurs du dehors. On me fait traverser plusieurs cours et nous arrivons enfin à la cour d’honneur, quadrilatère régulier comme toutes celles que j’ai vues avec un hall de chaque côté et, comme décoration, quelques fleurs et des arbres ; des chrysanthèmes, des orangers, pêchers