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en même temps, et qu’on les appelle nids d’oiseau hachés ou croquettes de caniches, je n’y sens pas beaucoup de différence. Les autres, pourtant, dont le palais a plus d’entraînement, peuvent jouir de ce que ma frugalité barbare ne sait pas apprécier.

A mesure que le dîner avance, la conversation devient plus animée. Après les propos de cérémonie, la compagnie se montre intéressée à mes enquêtes et à mes études ; mon hôte essaie d’obtenir toutes sortes de renseignemens. A n’en pas douter, c’est un habile homme, et, quoiqu’un chapeau en forme de pagode, surmonté d’une pierre grosse comme une pomme de terre et orné de plumes de paon qui se balancent, fasse oublier le sérieux de la situation — car le plus sage des hommes ainsi affublé a l’air d’un fou — je ne puis me défendre d’être impressionné bientôt par ses capacités. Très réservé, il parle pourtant volontiers de son pays, et en voyant quel intérêt m’en inspire la vieille histoire et celle des origines de ses habitans, partis, il y a des milliers d’années, du même berceau que les hommes de ma propre race qui établirent un royaume en Pannonie, il me donne les plus précieuses informations. La fondation du royaume mandchou est plus étroitement liée encore aux migrations des Huns que je ne l’aurais pensé. Rechercher le lien et retrouver l’affinité entre les Magyars et les Mandchous, il y aurait là un vaste champ d’études pour l’historien.

Après la collation, le gouverneur propose une visite aux tombes impériales, qui sont la principale curiosité de tout le pays. Il n’y a rien en effet de plus vénérable, car ces monumens des membres défunts de la dynastie sont aussi ceux de l’orgueil national.

Nous partons ; c’est un brillant après-midi et, dans la splendeur du soleil d’automne, le pays revêt toute sa beauté. Nous galopons à travers une prairie où des chevaux paissent avec du bétail dans la solitude. Çà et là un berger, comme tous les êtres humains perdus dans l’immensité de la nature, cherche une diversion dans la musique. L’air est simple et plus simple encore l’instrument, flûte archaïque taillée dans un grêle roseau. En bordure du pâturage, là-bas, un bois sombre : on m’explique que c’est le bosquet sacré où se cachent les tombes impériales. Elles sont à une distance de six ou sept milles, mais nos vaillans petits chevaux la couvrent bien vite. Mes compagnons, avec leurs soieries flottantes, leurs chapeaux pagodes, leurs ornemens