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la voluptueuse Campanie jusqu’aux bords gracieux et ombragés du lac de Côme, qui se peupla de maisons de plaisance.,

Horace s’indignait à la pensée que les édifices somptueux, avec leurs viviers plus grands que le lac Lucrin, leurs plantations improductives, leurs bosquets de myrtes et de lauriers, leurs parterres de violettes, bons seulement pour flatter l’odorat, allaient tout envahir, remplacer le fertile olivier, et ne plus laisser à la charrue que quelques misérables arpens de terre. Cinquante ans plus tard, sous Néron, Sénèque reprenait le même thème et le développait : « N’y aura-t-il donc plus, s’écriait-il, aucun lac que ne dominent vos maisons de campagne, aucun fleuve dont vos palais ne bordent les rives ? Dans tous les lieux où jaillissent des sources d’eau chaude, vous courez loger vos plaisirs. Partout où le rivage se courbe en un golfe, vous jetez dans les flots un sol artificiel et vous forcez la mer à reculer. En quel pays enfin ne faites-vous pas resplendir vos habitations, tantôt sur la cime des montagnes pour embrasser une vaste étendue d’horizon, tantôt au milieu des plaines, mais pour donner alors à vos demeures l’élévation d’une montagne ? » J’admets que ces morceaux d’éloquence ne doivent pas être pris au pied de la lettre. Horace, comme poète et poète officiel, Sénèque, comme moraliste qui a charge d’âmes et veut redresser son siècle, se croient le droit de hausser le ton, pour être mieux entendus. Il y a cependant à garder de leurs vigoureuses protestations que, ce qui avait été d’abord un goût légitime de bâtir, dégénéra en une maladie de bâtir.


III

D’après ce qui précède, nous saisissons déjà un caractère frappant des villas romaines comparées à celles de nos jours : le grand nombre des bâtimens et les vastes dimensions de chacun d’eux. Nous comprenons qu’Horace ait pu parler des constructions vraiment princières de ses contemporains (regiae moles), et que Tibère dans le Sénat se soit plaint de l’étendue exagérée des maisons de campagne (villarum infinita spatia). Mais c’est encore n’avoir de notre sujet qu’une vue superficielle et extérieure. Nous voudrions maintenant parcourir quelques-unes de ces propriétés, faire avec elles connaissance plus intime. Nous le pouvons, grâce aux Silves de Stace et aux Lettres de Pline le