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buis ou dressées dans la perspective des avenues : voilà, quand on s’entoure d’un jardin, le genre que l’on aime. On veut, — comme aussi l’on voudra au temps de Louis XIV, — une nature arrangée, artificielle, transformée par la main victorieuse de l’homme. On la croit embellie ; elle est plus parée, il est vrai, mais combien moins belle, à notre sens, que si elle était davantage abandonnée à elle-même, dans sa grâce même un peu négligée !


Que conclure des remarques antérieures ? Et irons-nous jusqu’à prétendre que les Romains n’ont pas eu du tout le sentiment de la nature ? On nous rappellerait qu’ils ont su d’ordinaire très bien situer leurs maisons de plaisance, recherchant les larges vues et les grands horizons, qu’ils ont de la campagne aimé la fraîcheur et la tranquillité. Cela est bien quelque chose. Il reste cependant qu’ils n’auraient peut-être pas été aussi sensibles au grand air et au calme, s’ils n’avaient vécu dans les pays du Midi, où l’on aspire avec délices la brise qui s’élève des eaux ou descend des montagnes, et s’ils n’avaient été des mondains lassés par momens des devoirs de société comme de l’atmosphère étouffante de la capitale.

Il y avait là pour eux, nous l’avons fait remarquer, un effet de contraste. Qu’est-ce à dire, sinon qu’ils n’ont pas pénétré la poésie intime de la campagne ? Et je ne parle pas des sites grandioses, ni des spectacles alpestres. Je parle de la poésie que recèle même le coin de terre le plus humble, le paysage le plus vulgaire : une prairie, un ruisseau, un arbre penché sur le courant où se reflète son feuillage, un champ enveloppé par la nuit qui tombe. Il faut une émotion un peu vive pour sentir vibrer l’âme des choses : il faut un peu de rêve et de songe pour deviner le mystère de la nature. Et les Romains ont toujours été peu faciles à l’émotion, et ils n’ont pas du tout été rêveurs. Je ne vois guère que Virgile dans l’antiquité latine, le doux, le tendre, le mélancolique Virgile, pour qui ait palpité cette âme universelle, qui ait frissonné à son contact, qui ait été en communion avec elle. Aussi quel accent dans ses vers ! Quelle ardeur passionnée, passion contenue mais frémissante, il apporte à célébrer les grottes rustiques., les eaux vives, les vertes vallées où mugissent les bœufs, et le sommeil sous un arbre, dans les champs ! Aimer les fleuves et les forêts, ou, plus simplement encore, coûter l’ombre et le frais an bord d’une source, entendre