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générations qui se sont succédé depuis les commencemens de la période historique ; ils en ont exhumé les ossemens, ils les ont mesurés, et ils ont constaté que la taille moyenne ne montre aucune tendance à diminuer. Ils ont réussi, en un mot, par l’usage de procédés rigoureux de mensuration, à mettre en évidence une vérité que déjà Jean Riolan s’efforçait d’établir au commencement du XVIIe siècle, et qu’il exprimait si clairement dans le titre d’un de ses écrits, publié en 1618 : « Discours sur la grandeur des géans, où il est démontré que, de toute ancienneté, les plus grands hommes et les géans n’ont été plus hauts que ceux de ce temps. »

Mais, nous le répétons, ce n’est pas seulement de l’anthropologie, c’est de la médecine que nous sont venues les dernières lumières sur la question du gigantisme. La médecine réclame les géans du temps présent, les rares exemplaires qui s’en rencontrent de temps à autre, comme ressortissant à son domaine. Les géans sont des hommes dont le développement, au lieu de suivre une voie régulière, a subi une déviation morbide et dont la nutrition est pervertie : ce sont des dystrophiques. Leur haute stature n’est qu’un stigmate de déchéance, un symptôme de leur infériorité dans la lutte pour la vie. Ils ne sortent pas seulement des conditions ordinaires du développement, — c’est-à-dire qu’ils sont des « monstres infantiles » que réclame la tératologie, — mais ils sortent des conditions physiologiques et normales de la santé, — c’est-à-dire qu’ils sont des malades, qui relèvent de la pathologie. « Voici donc, comme a pu l’écrire E. Brissaud, les géans dépouillés de leur antique et fabuleux prestige. La mythologie cède la place à la pathologie ! » Telle est, dans sa forme la plus catégorique ou la plus expressive, la doctrine nouvelle. Nous aurons quelque jour l’occasion de l’examiner.


I

L’imagination de tous les peuples de l’antiquité a été hantée par la vision chimérique d’une espèce de surhomme, c’est-à-dire d’une sorte d’être parfaitement constitué comme l’homme ordinaire, mais plus grand et plus fort. Ces êtres de proportions parfaites, mais de taille colossale, c’étaient les géans. L’opinion populaire s’est toujours montrée fermement attachée à cette croyance. Elle a été si générale et si enracinée, qu’il a fallu se