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peu partout à l’état sporadique, sous l’influence de conditions qui restent à déterminer.

Tel est l’état des choses, dans le temps présent, en ce qui concerne le gigantisme. Mais il ne s’agit pas du présent. C’est le passé qui est embarrassant ; c’est le passé qui est en question.


III

C’est, en effet, comme on l’a vu, dans le passé, dans le plus lointain passé, que la tradition a placé l’origine du gigantisme, qui aurait depuis lors subi une dégradation progressive. Cette thèse a été adoptée par quelques écrivains plus ou moins qualifiés. Certains d’entre eux, comme Henrion en 1718, se sont même hasardés à donner un tableau exprimant en chiffres positifs la série des dégradations de la stature humaine dans la suite des temps, depuis celle d’Adam estimée à 123 pieds, c’est-à-dire à 40 mètres, celle d’Abraham de 27 pieds ou 9 mètres, celle d’Hercule, de 10 pieds ou 3 mètres environ, jusqu’à Alexandre le Grand, dont la taille aurait atteint 6 pieds, c’est-à-dire près de 2 mètres, et César, haut de 5 pieds, c’est-à-dire de 1m, 62.

Ce sont là des supputations absolument puériles et fantaisistes et qui ne méritent pas examen. Il n’en est pas moins vrai que c’est la tâche de l’anthropométrie d’essayer d’évaluer la taille de l’homme aux différentes époques de l’histoire, de la préhistoire et des temps géologiques. Il faut pour cela qu’elle dispose d’une méthode assez sûre pour calculer, d’après les squelettes ou les fragmens de squelettes incomplets qui ont été découverts dans les dépôts tertiaires ou quaternaires, ou qui ont été recueillis dans les sépultures de la période historique, la taille véritable du sujet vivant. C’est l’établissement de cette méthode de mensuration qui a préoccupé depuis de longues années M. L. Manouvrier, et qui constitue l’un de ses meilleurs titres scientifiques. Le travail fondamental qu’il a publié sur ce sujet remonte à l’année 1892. — Plus récemment, en 1902, le même savant lui t a donné une sorte de couronnement dans une étude « sur les rapports anthropométriques et sur les principales proportions du corps. » Ce Mémoire est d’un très grand intérêt pour l’histoire naturelle en général. Certaines parties, en outre, sont bien dignes de fixer l’attention des artistes, des peintres et des sculpteurs, dont les canons classiques, peut-être un peu factices, doivent