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pourchassé, et il aurait eu affaire à eux dans des conditions d’infériorité manifestes. Le désarmement a donc été opéré, et dans des conditions telles que, si le Rechitelny était attaqué, il ne pouvait pas se défendre. Dès lors il était parfaitement en règle. Mais, ne l’eût-il pas été, les Japonais n’avaient aucun droit de l’assaillir dans des eaux neutres. Ils n’en avaient pas d’autre que d’adresser des observations et, au besoin, des injonctions au gouvernement chinois. Ils n’ont pas hésité cependant à pénétrer pendant la nuit dans le port de Che-fou et à sommer le commandant du Rechitelny de se rendre. Celui-ci a refusé, bien entendu ; tout autre aurait fait de même à sa place ; mais, comme il n’avait plus d’armes à sa disposition, Russes et Japonais en sont venus à une lutte corps à corps qui fait assurément plus d’honneur aux premiers qu’aux seconds. Il est heureux pour les Japonais qu’ils aient d’autres faits d’armes à leur actif. L’issue d’un pareil combat ne pouvait pas être douteuse : les Japonais sont restés maîtres du Rechilelny et l’ont emmené avec eux. Les autorités chinoises n’ont rien fait de sérieux pour s’y opposer, c’est-à-dire pour faire respecter leur neutralité. Incontestablement cette neutralité a été violée à Che-fou, et probablement elle l’aurait été encore ailleurs si, d’une part, l’impression produite en Europe et en Amérique, et, de l’autre, l’extrême modération de la Russie, n’avaient pas empêché ce triste incident de se reproduire à Changhaï où l’Askold et le Grossovoï avaient cherché un asile.

Mais, avant de parler de cette seconde affaire, il est intéressant de voir comment les Japonais expliquent et essaient de justifier la première. Le gouvernement de Tokio a communiqué à ce sujet une note à la presse, dont l’argumentation plus que subtile semble vouloir révolutionner la logique aussi bien que le droit des gens. Les Japonais prennent partout l’offensive, en diplomatie comme en guerre, et, le croirait-on ? leur note est une longue et amère nomenclature des cas nombreux où les Russes auraient eux-mêmes violé la neutralité de la Chine. Ils l’ont violée notamment à Che-fou en s’y réfugiant. Une telle affirmation a de quoi surprendre : voici comment les Japonais l’expliquent. « La position de la Chine dans la lutte actuelle, disent-ils, est exceptionnelle. La plupart des opérations militaires sont faites sur son territoire. Ce territoire est, pour partie, belligérant et, pour partie, neutre ; néanmoins, la Chine n’est point belligérante. Ce cas anormal et contradictoire au point de vue du droit des gens, a fait l’objet d’une entente spéciale destinée à limiter le théâtre des hostilités, entente à laquelle les belligérans ont souscrit. » Tout cela est