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public, de se mieux connaître eux-mêmes, de se rendre compte de la situation respective de leurs partis, des résultats acquis et des moyens d’en obtenir de meilleurs, de discuter les problèmes qui se posent, de rechercher la meilleure tactique : ce sont les séances académiques des états-majors socialistes de tous les pays. Le spectateur attentif a le privilège de voir, d’entendre des êtres vivans.

Au fond de la plus élégante salle de concert d’Amsterdam, le Concert Gebouw, une estrade est dressée, garnie de drap rouge. Une guirlande de fleurs rouges court le long de la rampe. Derrière l’estrade, du parquet au plafond, s’étend une longue toile, sur laquelle vous lisez en lettres gigantesques le cri de guerre par lequel se terminait le manifeste communiste de Karl Marx en 1848, et qui est la devise même de l’Internationale : Proletariers Van Alle Landen Vereinigt U — Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! unissez-vous pour la lutte de classe contre la bourgeoisie capitaliste, votre seule ennemie. Paix entre les nations, guerre entre les classes, entre les exploiteurs et les exploités, jusqu’à l’expropriation finale !

Si maintenant, sous l’impression de cette devise, vous cherchez des yeux les prolétaires parmi les 470 délégués accourus à Amsterdam, de Yokohama à New-York, vous n’en trouvez pas un seul dont l’aspect extérieur réponde à cette idée. On attache à ce mot de prolétaires, considéré par les ouvriers anglais comme une injure, une image de misère ou de pauvreté. Le prolétariat en haillons, le Lumpenproletariat, est sévèrement exclu des partis socialistes : vous n’y rencontrez pas même le prolétariat en blouse. La blouse bleue que M. Thivrier arborait au Palais-Bourbon ferait tache dans un Congrès de socialistes. Mais le terme prolétaires, en langage socialiste, s’applique à tous ceux qui vivent de leur travail, dans des situations dépendantes, quelque élevés que soient leurs salaires ou leurs honoraires. Si la théorie de Marx était vraie, si la grande industrie avait pour effet de paupériser les masses, les Congrès internationaux devraient, d’une période à l’autre, présenter un aspect plus lamentable de corps amaigris et de visages affamés. C’est le contraire qui arrive : les physionomies sont florissantes, les ceintures s’élargissent. Le développement de la production accroît le bien-être des classes ouvrières, bien loin de les appauvrir. Devant l’évidence des faits, la théorie marxiste est aujourd’hui