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âmes, sans transition, d’une Église dans l’autre, on les ferait s’engouffrer, tout doucement, insensiblement, dans quelque chapelle, attenante encore à la vieille église, et même arborant encore sur sa façade la prétention d’être catholique, mais ayant toutes les fenêtres ouvertes, et grandes ouvertes, sur l’horizon de la Réforme, et imprégnée, déjà, d’atmosphère protestante ; et c’est avec l’illusion de rester catholiques, que les sujets du roi de Prusse deviendraient des protestans.

Aussi verrons-nous les fonctionnaires prussiens souhaiter que Sedlnitzky, prince évêque de Breslau, s’essaie, après ses différends avec l’Eglise romaine, à provoquer un mouvement « néo-catholique ; » puis Sedlnitzky n’ayant rien osé, leurs complaisances émigreront avec d’encourageans sourires vers les sectes « catholiques allemandes ; » et ce seront eux encore, ou leurs légitimes héritiers, qui, trente ans plus tard, partageront, à moins même qu’ils ne les dictent, les actives sympathies de Bismarck pour le « vieux catholicisme. » « Néo-catholicisme, catholicisme allemand, vieux catholicisme, » n’étaient-ce point là, peut-être, d’efficaces moyens de désagréger le catholicisme romain et d’accélérer, sous l’égide du Roi, l’unification d’un christianisme d’État ? C’est ainsi qu’en Prusse, de l’idée de dominer le catholicisme, commune à la foule des souverains allemands, l’on passait, lentement, à l’idée de le dissoudre, et, si nous osons dire, de le défaire ; et, pour guider l’État prussien dans ces voies d’intolérance, un homme se rencontra, illustre par le savoir, distingué par son adresse, qui n’était autre que le propre ministre du roi de Prusse auprès du Pape, le chevalier de Bunsen.

Tout en Bunsen conspirait contre Rome, contre cette Rome où il était accrédité. Originaire de la principauté de Waldeck, son zèle pour l’omnipotence prussienne était d’autant plus exclusif, qu’il n’avait pas de sang prussien dans les veines. Orientaliste consommé, la science lui paraissait, tout comme la Prusse, menacée par « l’intolérance romaine. » Expert en archéologie chrétienne, familier avec la littérature chrétienne primitive, il se faisait, de son érudition même, une arme perpétuelle contre l’ « idolâtrie catholique. » Versé dans la connaissance des anciennes liturgies, il se croyait qualifié pour infuser une vie nouvelle aux institutions religieuses issues de la Réforme, et pour unifier et universaliser la Réforme, — pour la catholiciser, si l’on peut, ainsi dire, — en ramenant au christianisme