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ancien bal public, entre des murs qui avaient été blanchis à la chaux et que la fumée des pipes avait noircis. Plusieurs petites pièces pour les lectures ou pour les entretiens, une grande salle pour les conférences et pour le théâtre, des bancs, des chaises, des tables, des livres, quelques gravures, quelques plâtres, c’était tout l’aménagement et l’ornement.

Malgré l’extrême simplicité du décor, les débuts eurent de l’éclat, et l’ardeur qu’ils manifestaient parut s’accroître en se dépensant. Vétérans de l’atelier, apprentis, fillettes, mères de famille s’empressaient aux graves ou joyeuses séances, qui ne leur coûtaient que cinquante centimes par mois. Professeurs, écrivains, hommes politiques, recrutés dans toutes les catégories, les conférenciers formaient, eux aussi, une foule. Il y eut des séances animées et de chaudes discussions contradictoires. L’une de celles-ci produisit de l’émoi même au dehors.

Un prêtre, M. l’abbé Denis, avait demandé et, sans peine, obtenu la faculté d’exposer les principes de sa foi, dans ce milieu où, jusqu’alors, en 1900, le droit de cité se trouvait, pour ainsi dire, accaparé par des panthéistes, par des matérialistes, par des sceptiques. La séance fut mouvementée, comme aux grandes journées de la Chambre ; et le tumulte s’épanouit en bousculades. Un certain nombre d’associés et de collaborateurs de l’Université populaire soutinrent la liberté dont usait le prêtre, et dont M. Deherme se montra le défenseur inflexible. C’est pourquoi, le lendemain et durant plusieurs jours, il se vit en butte aux protestations et aux dénonciations de la presse sectaire. Amené à se justifier par écrit, il le fit avec la vigueur et la fierté d’un homme tout à fait convaincu, également dédaigneux de la flatterie et de la menace.

N’attendant pas beaucoup plus de la philosophie que de la religion, cet athée a concentré dans l’amour des aspirations libres et des efforts indépendans ce qu’il possède d’énergie et d’espoir. Puisque les systèmes et les doctrines s’épuisent ou s’écroulent, qu’au moins la liberté soit mise en application franchement et audacieusement, c’est le vœu suprême et, pour l’heure présente, c’est presque l’unique vœu de l’ouvrier apôtre. Autant que la fierté, la nécessité a persuadé M. Deherme de se confier en toute chose au libéralisme effectif et vivant. Faute de mieux peut-être, mais avec un vouloir tenace, il attend de la pleine liberté, réalisée et pratiquée enfin, la force féconde que les théories