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Attentif et réfléchi, il a suivi un plan étendu, mais logique. À la vérité, les débuts s’effectuaient sous une impulsion mal réglée, puisque M. Deherme fut d’abord anarchiste. Ayant participé à je ne sais plus quelle affaire de ce genre, il goûta de la prison, continuant, bien entendu, de méditer et de s’instruire en cet endroit. Mais la collaboration anarchiste ne devait représenter dans sa carrière qu’un épisode amené par l’excès d’indépendance et d’impatience. De désir et de tempérament, cet ouvrier typographe était un sociologue et un organisateur.

Chez lui, l’amour de la science visait plus loin que la science elle-même ; et il l’a dit avec une netteté, une insistance, une pénétration qui mériteraient d’être remarquées par nos intellectuels. Dès le mois de janvier 1898, avant d’essayer la première tentative d’Université populaire et même avant que le projet n’eût été baptisé de ce nom, M. Deherme répudiait les erreurs répandues par tant d’aveugles apôtres de l’instruction :

« La troisième République, écrivait-il, a prodigué l’instruction. Chaque école construite, disait-on naïvement avec le poète, devait vider une prison. Le nombre des délinquans analphabets a diminué, il est vrai ; mais celui des délinquans lettrés a augmenté dans les mêmes proportions : le total n’a pas changé. Et l’on a dû encore construire de nouvelles prisons.

« On avait considéré l’instruction comme une fin, au lieu de l’employer habilement comme un moyen.

« Nous nous proposons d’instruire aussi, mais pour éduquer, c’est-à-dire élever. Et c’est l’instruction supérieure qui nous paraît le mieux favoriser cette éducation. Nous n’entendons pas l’instruction supérieure qui est distribuée, dans nos Facultés et nos écoles supérieures, trop généreusement peut-être, à une multitude de jeunes gens, dont beaucoup seront, hélas ! des « déracinés » du sol natal et du sol moral ; mais une instruction supérieure moins pédante, moins sèche, plus large, plus vivante, qui agira plus sur l’âme que sur la mémoire… Nous ne ferons pas des érudits, mais des hommes. Faire des hommes, des volontés énergiques, des consciences hautes et claires, des cœurs arde. ns, des intelligences saines, tel est notre but. »

Notons ici un accent et un mouvement particuliers. La phrase, en général courte, va d’un élan tendu et rapide. Il y a de l’art, de l’impétuosité, une certaine raideur. Ce dernier caractère s’explique quand on voit et quand on entend le personnage ; la