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pontife aurait suivi la foule des émeutiers jusqu’au Petrion. Il ne pouvait, du reste, dans la terrible situation où il se trouvait, faire autre chose que se rallier à la cause des adversaires de son ennemi mortel le Calaphate. Il parut dans l’Église, au milieu de la foule tumultueuse, et lui annonça solennellement son intention de soutenir le parti de Zoé et de favoriser également l’élévation de Théodora. Skylitzès cite comme étant accourus de leur côté au couvent, où languissait celle-ci, tous les anciens eunuques de feu le basileus son père, puis encore le patrice Constantin Kabasilas et la presque totalité des sénateurs. Tous ces personnages étaient unanimes à vouloir proclamer la vieille princesse, non en opposition, mais aux côtés de sa sœur prisonnière aux mains du Calaphate. Ce n’était plus une simple émeute, c’était une révolution qui se préparait.

La première surprise de la vieille recluse, si subitement précipitée de l’infini silence du cloître au tumulte affreux de la rue, en ce jour de trouble, fut abominable. La pauvre femme épouvantée se refusa avec obstination à écouter les propositions des chefs du mouvement, de tous les vieux amis de son père et de sa dynastie. Sourde aux menaces comme aux prières, elle courut se réfugier dans le sanctuaire de la chapelle conventuelle ; mais les chefs de la révolte l’y poursuivirent et la saisirent de force. Quelques-uns, rendus furieux par sa résistance, tirant leurs armes, voulaient l’en frapper. Bref, sacrilège inouï, on la tira avec violence hors du saint lieu. Une fois dans la rue, on l’affubla du magnifique vêtement impérial, et, ainsi costumée, on la jeta en hâte sur un cheval. Ce fut dans cet équipage moitié tragique, moitié grotesque, que la vieille femme qui, le matin, avait dit ses prières dans la pauvre cellule où elle croyait bien finir ses jours, fit, encadrée par les rangs pressés d’une foule enthousiaste, une tumultueuse entrée sous le dôme splendide de Sainte-Sophie, où elle fut immédiatement entourée par le patriarche et les principaux chefs des émeutiers. C’était dans ce temple auguste, métropole de la religion orthodoxe, que ceux-ci avaient décidé de conduire d’abord la nouvelle et étrange souveraine qu’ils avaient choisie pour la couronner, la proclamer basilissa des Romains, et lui donner ainsi la consécration et la protection officielle de l’Eglise. Il faisait une obscurité profonde quand le cortège atteignit Sainte-Sophie, dans la soirée du lundi 19 au mardi 20 avril.