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de l’arbitre envoyé par l’État. Il ramènerait la minorité à sa part légitime, et, pour exercer l’autorité qu’il tenait de l’Etat, supprimerait les usurpations de l’émeute : il ferait succéder à la dictature des débardeurs un régime respectueux de l’intelligence, des intérêts et des libertés. Les républicains révolutionnaires se rappelaient son programme politique, ses votes, ses amitiés et ne s’effrayaient pas.

Le 7 septembre, Marseille accueillit dès la gare, et escorta d’une acclamation formidable jusqu’à la Préfecture, cet homme en qui chaque parti saluait un homme différent. Il sembla que lui-même voulût, dès son arrivée, associer et fondre toutes les factions. Dans sa voiture il fit monter Labadié, Gaston Crémieux et Marie, fils de l’ancien député et colonel de la garde nationale, car cette garde, qui n’avait pas encore ses armes, avait déjà son chef. Mais quand les portes de la Préfecture franchies entre les baïonnettes des civiques, il se trouva en présence du Comité départemental, l’homme véritable apparut tel qu’il devait être jusqu’à la fin. Non seulement il reconnaissait dans ce Comité et dans les principaux des civiques les artisans les plus actifs de sa candidature, et sans lesquels la masse des modérés n’eût peut-être pas su agir ni vaincre ; non seulement sa haine de l’Empire était telle que tous les excès commis pour détruire ce régime, en empêcher le retour, en punir les complices, lui semblaient excusables ; mais sa conception de la politique faisait de ce délicat un prisonnier perpétuel et volontaire de la démagogie.

Persuadé que les sociétés se conservent et se transforment par une sagesse permanente, innée, infaillible dans l’ensemble de ses mouvemens, et que le principe initiateur de ces mouvemens salutaires est la poussée des générations et des classes les plus malheureuses vers un sort meilleur, il considérait les révolutionnaires comme les agens du progrès dans l’humanité. Dès lors, sa philosophie ne s’inquiétait pas des destructions et des souffrances qui accompagnent chaque changement, et il demeurait impassible devant les excès, comme un général devant les blessures qui achètent la victoire. Il avait même, et précisément parce qu’il était un rêveur capable seulement d’assembler des théories, une admiration pour les violens qui savent accomplir des actes. Il savait gré à la brutalité des manœuvres qui gâchent le mortier révolutionnaire, de laisser aux architectes politiques le loisir des