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II

Une fois décidée, Mademoiselle n’avait plus songé qu’au moyen de venir à bout de son dessein. Le premier pas lui paraissait l’un des plus difficiles. C’était à elle, vu la disproportion des rangs, à faire les avances et à demander la main de M. de Lauzun. Mademoiselle y était toute préparée ; elle ne redoutait pas un refus. Mais il ne lui suffisait pas d’être épousée ; elle voulait avoir son roman, être aimée et se l’entendre dire, et c’était cela qui n’était pas tout simple : — « Je ne sais, dit-elle, s’il voyait ce que j’avais dans le cœur. Je mourais d’envie de lui donner occasion de me dire ce que le sien sentait pour moi. Je ne savais comment faire. » Il n’y avait que la Grande Mademoiselle, dans toute la cour de France, pour être aussi novice aux manèges d’amoureux. Après y avoir bien pensé, elle s’arrêta à un expédient classique : ce sont les meilleurs. Elle résolut de dire à Lauzun qu’il était question de la marier, et qu’elle voulait en avoir son avis. S’il l’aimait, il se trahirait.

Elle se mit incontinent à sa recherche, ce même 2 mars où elle s’était éveillée si gaie, et le trouva chez la Reine, à l’heure où cette princesse s’enfermait dans son oratoire pour « prier Dieu. » Marie-Thérèse prolongeait pieusement ces séances, pendant lesquelles il s’établissait quelque liberté dans sa chambre. « Je m’en allai à lui et le menai dans une fenêtre. A sa fierté et à son air, il me parut l’empereur de tout le monde. Je commençai : « Vous m’avez tant témoigné d’amitié depuis quelque temps, que cela me donne la dernière confiance en vous, et que je ne veux plus rien faire sans votre avis. » Lauzun protesta, ainsi qu’il convenait, de sa reconnaissance et de son dévouement, et elle reprit : « On dit dans le monde que le Roi me veut marier au prince de Lorraine ; en avez-vous ouï parler ? » Non, il n’en avait pas ouï parler. Mademoiselle enfila des explications confuses sur ce qu’elle voulait rester en France, et trouver enfin le bonheur. « Pour moi, conclut-elle, je ne saurais aimer ce que je n’estime pas. » Lauzun approuva tout et demanda : « Songeriez-vous à vous marier ? » Elle répondit naïvement : « J’enrage quand j’entends compter les gens qui aspirent à ma succession. — Ah ! dit-il,… rien ne me donnerait tant d’envie que cela de me marier ! » A cet endroit, la Reine sortit de son