Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/592

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dévote, ou, habillée modestement, n’aller à rien. » Il accordait que Mademoiselle, par exception, « à cause de sa qualité, » pourrait se permettre, de loin en loin, un acte ou deux d’opéra ; mais son lot de vieille fille était « d’aller à vêpres, au sermon, au salut, aux assemblées des pauvres, aux hôpitaux. » Ou bien, alors, se marier : c’était l’alternative qu’il lui avait ménagée. « Car l’étant, poursuivait-il, à tous les âges on va partout ; on est habillée comme les autres, pour plaire à son mari. On va aux plaisirs parce qu’il veut que l’on fasse comme les autres. »

Chacune de ses paroles s’imprimait dans l’esprit de l’amoureuse princesse. Quand Saint-Simon, qui avait connu intimement Lauzun, eut lu les Mémoires de Mademoiselle, il renonça à conter après elle leur aventure, tant son récit était exact et vivant : « Qui a un peu connu M. de Lauzun, écrivait-il, le reconnaîtra en tout ce que Mademoiselle en raconte, et jusqu’à croire l’entendre parler[1]. »

Par une contradiction très naturelle, Mademoiselle, au milieu de son ivresse, conservait « du regret de n’être pas reine dans des pays étrangers. » Lauzun s’efforça de l’en guérir. Il lui représentait que la peine aurait passé le plaisir. « Si vous aviez été reine, impératrice, vous vous seriez fort ennuyée… Demeurez donc, toute votre vie, ici… Si vous avez envie de vous marier, vous avez de quoi faire un homme égal en grandeur et en puissance aux souverains. Il saura par-dessus que vous aurez le plaisir de l’avoir fait ; il vous en aura l’obligation… Il ne faut point dire comme il faut qu’il soit fait pour posséder un tel honneur ; car, en vous plaisant et étant choisi par vous, ce sera un homme admirable. Rien ne lui manquera ; mais où est-il ? » Ce langage, qui nous paraît si clair, ne l’était pas encore assez au gré de Mademoiselle. Cette princesse attendait toujours un aveu, des douceurs, qui ne venaient jamais. Lauzun faisait l’ami désintéressé, celui qui est entièrement hors de cause, et il étalait à Mademoiselle toutes les raisons qui devaient la dégoûter d’un mariage inégal. Bien loin de chercher à lui parler, il se tenait respectueusement à distance lorsqu’il la rencontrait. « C’était moi, dit-elle, qui allais à lui. » Sa réserve et ses réticences attisaient le feu, et cela le divertissait, mais il n’osait pas, pour le moment, s’en promettre autre chose que plus de crédit encore à la cour.

  1. Écrits inédits.