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parle demain ; car je suis déterminée, résolue de parler au Roi, et je voudrais bien que tout ceci fût fini devant le 1er juillet. » Il répondit : — « Je m’en vais demain à Paris, et dimanche, sans faute, je serai ici, et nous causerons de toute chose ; je commence à avoir aussi envie que vous de voir tout ceci fini. »

Le dimanche (29 juin), vers le soir, Lauzun n’était pas encore arrivé. On vint à la chambre de Mademoiselle l’avertir que la Reine l’attendait pour la promenade. Elle sortit en courant et croisa le comte d’Ayen[1], l’air très pressé aussi, qui lui dit en passant : « Madame se meurt ! Je cherche M. Vallot[2], que le Roi m’a commandé d’y mener. » En bas, la Reine conta dans son carrosse l’histoire du verre d’eau de chicorée, et que Madame se croyait empoisonnée. On s’étonnait, on s’exclamait : « Ah ! quelle horreur ! » on se regardait et l’on ne savait que faire ; Marie-Thérèse était descendue de voiture et se promenait en bateau, très paisiblement, sur le grand canal. Survint précipitamment un gentilhomme : Madame était à l’extrémité et faisait dire à la Reine de ne point tarder, si elle voulait la voir. On regagna « fort vite » le château, où l’embarras recommença. La Reine demandait à chaque instant : « Que ferai-je ?… Que ferai-je ? » ne se décidait point et empêchait Mademoiselle de partir sans elle. Enfin le Roi parut. Il prit la Reine dans son carrosse, avec Mademoiselle et la comtesse de Soissons. Mme de Montespan et Mlle de La Vallière suivirent. Il était onze heures, quand la famille royale mit pied à terre, à la porte du château de Saint-Cloud.

Le spectacle qui l’attendait a été redit cent fois. C’était, sur un lit, une pauvre petite figure échevelée, pathétique de souffrance, et déjà tirée par l’approche de l’agonie. Sa chemise dénouée laissait voir sa maigreur, et elle était si pâle que, sans ses cris, on l’aurait crue expirée. Nous savons par Mme de La Fayette[3]que les premiers sentimens de l’entourage avaient été la pitié et l’attendrissement, naturels en pareil cas, et redoublés ici par les douleurs effroyables et la douceur devant la mort de cet être jeune et charmant. L’état de Madame avait touché jusqu’à Monsieur, si dur pour elle depuis qu’elle l’avait blessé par ses légèretés, de sorte « qu’on n’entendait plus (dans

  1. Capitaine des gardes du corps. Il fut depuis duc de Noailles et maréchal de France.
  2. Premier médecin du Roi.
  3. Histoire de Madame Henriette d’Angleterre.