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Il continuait : « Dès ce moment-là, l’affaire fut tenue pour conclue. » Suivaient les détails que l’on connaît : préparatifs du mariage, foule au Luxembourg, bruits « fort injurieux » que le Roi avait arrangé la chose en dessous pour favoriser Lauzun, et, finalement, résolution de rompre l’affaire. C’est le seul endroit où Louis XIV ait cru devoir borner ses confidences à l’univers : il passe sous silence Mme de Montespan suppliante et Condé derrière sa porte : « J’envoyai appeler ma cousine. Je lui déclarai que je ne souffrirais point qu’elle passât outre à ce mariage, que je ne consentirais pas non plus qu’elle épousât aucun prince de mes sujets, mais qu’elle pouvait choisir dans toute la noblesse qualifiée de France qui elle voudrait, hors le seul comte de Lauzun, et que je la mènerais moi-même à l’église. Il est superflu de vous dire avec quelle douleur elle reçut la chose, combien elle répandit de larmes et poussa de sanglots. Elle se jeta à genoux. Je lui avais donné cent coups de poignard dans le cœur. Elle voulait mourir. Je résistai à tout… » Le Roi ajoute qu’il fit ensuite la même communication à Lauzun, « et je puis dire qu’il la reçut avec toute la constance, la soumission et la résignation que je pouvais désirer[1]. » C’est sur cette comparaison, défavorable à Mademoiselle, que se termine ce curieux document, si peu généreux en présence d’un chagrin si vrai et si profond.

Cette princesse était remontée en carrosse dans un état à faire pitié. Elle y eut une attaque de nerfs et cassa en route les glaces de la voiture. Au Luxembourg, sa chambre s’était remplie de gens qui attendaient son retour : « Deux de ses valets de pied, raconte l’abbé de Choisy, entrèrent dans sa chambre en disant tout haut : « Sortez vite par le degré. » Tout le monde sortit en foule ; mais je demeurai des derniers, et vis la princesse venir du bout de la salle des gardes comme une furie, échevelée, et menaçant des bras le ciel et la terre. » Elle avait à peine eu le temps de se calmer, que Lauzun entra, accompagné de MM. de Montausier, Créqui et Guitry : « En le voyant, je criai les hauts cris, et, lui, eut beaucoup de peine à s’empêcher de pleurer. » La noblesse de France venait, sur l’ordre du Roi,

  1. D’après la Correspondance de Pomponne (Bibl. de l’Arsenal, 4 712 (598. II. F.) fol. 373. M. Chéruel, dans l’appendice au vol. IV des Mémoires de Mademoiselle, et M. Livet, dans l’Histoire amoureuse des Gaules, ont publié cette lettre d’après une copie légèrement inexacte.