Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/619

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Roi est à retenir, car elle eut de grandes suites pour sa cousine. Il me dit : « Je ne vous défends point de le voir ;… et assurément vous ne sauriez prendre avis d’un plus honnête homme, ni plus habile en tout ce que vous aurez à faire, que de lui. » Elle se hâta de prendre acte de la permission. « C’est mon intention, Sire, et je suis trop heureuse que vous vouliez bien que ce soit mon meilleur ami ;… mais au moins, Sire, ne changerez-vous pas, comme vous avez fait ? Je ne puis m’empêcher de vous faire ce reproche. »

Les jours suivans, elle dut rouvrir sa porte, et la même foule, qui avait fait semblant de se réjouir avec elle, revint faire semblant de la plaindre. Il fallut revoir tous les mêmes visages, subir tes regards curieux, les regards railleurs, et répondre aux banalités. On fit de grandes plaisanteries dans Paris de ce qu’elle recevait les condoléances sur son lit, à la mode des veuves. « J’ai ouï dire à Mme de Maintenon, raconte Mme de Caylus[1], qu’elle s’écriait dans son désespoir : « Il serait là ! Il serait là ! » c’est-à-dire, il serait dans mon lit ; car elle montrait la place vide. » Une grande princesse amoureuse à en mourir, et d’un simple cadet de Gascogne, presque un croquant, c’était un spectacle si nouveau, qui choquait tellement toutes les idées sur ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, que le public, dans le fond, ne prenait pas au sérieux ce chagrin légèrement théâtral. On prétendait que Louis XIV avait dit : « C’est une fantaisie qui lui a prise en trois jours, et dans trois elle en sera consolée. »

Vrai ou faux, — le Roi le niait, — le propos avait l’approbation générale ; il dispensait de s’apitoyer sur cette malheureuse qui se dévorait, et dépérissait à vue d’œil : « J’étais maigre, les joues creuses, comme une personne qui ne mangeait ni ne dormait, et je pleurais, dès que j’étais toute seule, ou que je voyais des amis de M. de Lauzun, que l’on parlait de choses qui avaient relation à lui ; j’en voulais toujours parler. » L’espoir d’une prompte mort était sa seule consolation, car personne, elle en était sûre, n’avait jamais autant souffert : « Mon état était pitoyable, et il faut l’avoir senti pour le comprendre, et ce sont de ces choses que l’on ne saurait exprimer. Il faudrait les connaître soi-même, pour en juger, et personne ne saurait avoir senti une douleur comparable à la mienne ; il n’y a rien à quoi

  1. Souvenirs et Correspondance.