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des traités : la dernière blessure faite au Nord-Est à notre unité territoriale n’est pas près d’être encore cicatrisée ; depuis l’heure violente de la séparation, l’unité nationale amputée porte une plaie dans son flanc.

L’unité politique, unité de gouvernement, est la conséquence naturelle de l’unité territoriale. Elle en a été en France, et sans restriction, la compagne inséparable : poussée dans ses extrêmes, elle y a enfanté la centralisation systématique des services publics, dont le principe nous avait été légué par la tradition latine et que Bonaparte a formulé dans sa plus rigoureuse expression. Notre histoire nous apprend d’ailleurs comment l’unité de commandement est insuffisante à créer un ensemble viable, lorsqu’elle s’exerce hors de sa sphère naturelle ; au cours de l’ouragan napoléonien, l’essai en a été violemment tenté : ni la volonté de l’Empereur, ni son génie, n’ont pu réaliser ce rêve d’un grand corps national s’étendant des rives de l’Adriatique à celles de la Baltique ; aucun des royaumes sortis tout armés de son cerveau n’a pu enfanter une nation. Autour de nous, cette unité politique s’est constamment manifestée sous des formes diverses ; la triple couronne du Royaume-Uni, placée sur une seule tête, a pesé longtemps aux Irlandais réfractaires aux exigences de l’« Anglicisme ; » sur les bords du Danube l’unité dynastique seule maintient péniblement l’édifice mal assemblé de la monarchie austro-hongroise, et l’on se demande quels sont les fondemens d’une unité nationale qui n’aurait d’autres garanties que a cohabitation ou la juxtaposition d’un Allemand, d’un Magyar ou d’un Tchèque ; de nos jours encore, dans l’Allemagne impériale, la rude voix des Hohenzollern doit parfois se faire entendre pour rappeler à la réalité de l’unité politique les élémens impatiens de l’hégémonie prussienne.

L’unité législative est, depuis un siècle, un fait accompli en France. Les grands ministres de la monarchie, Sully, Richelieu, Colbert, en avaient pressenti la nécessité ; la Révolution peut s’enorgueillir d’en avoir défini les bases ; mais il appartenait au Premier Consul d’assurer son développement dans toute sa majestueuse ampleur. Il n’est pas de pays où cette unité, établis sur l’égalité des obligations légales pour tous les citoyens, soit aussi absolue qu’en France, où elle n’admet aucune dérogation. A notre école, les jurisconsultes du monde entier sont venus s’initier à ces grands principes de l’unité de la loi et de son