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pour qu’il accepte ne fût-ce que l’apparence d’une obligation doctrinale, à laquelle il n’a pas souscrit de plein gré.

L’histoire de France, durant les trois derniers siècles, est là pour nous apprendre, ou pour nous rappeler, si nous l’avons oublié, que la « politique de l’unité morale » porte des fruits amers ; que ses résultats sont invariablement contraires au but même qu’elle se proposait et qu’elle interdit la communion des élémens sociaux en enfantant la guerre morale. Elle nous apprend également comment les artisans de cette politique sont atteints par leurs propres coups. La contrainte n’est que d’un temps, et l’heure sonne, tôt ou tard, où la liberté prend sa revanche.


II

Lorsque, le 13 avril 1598, Henri IV, roi catholique depuis cinq ans, donnait aux protestans l’Edit de Nantes « perpétuel et irrévocable, » il signait, en même temps qu’un concordat religieux, la charte de la paix publique, et le premier monument de la liberté de conscience. « Ce que j’en ai fait, disait-il, quelques mois plus tard aux membres du Parlement de Paris, est pour le bien de la paix. Je l’ai faite au dehors, je veux la faire au dedans de mon royaume… Je vous parle non point en habit royal, ni avec l’épée et la cape, comme mes prédécesseurs, ni comme un prince qui reçoit des ambassadeurs, mais comme un père de famille en pourpoint qui entretient ses enfans. » Au lendemain de la Ligue et des guerres de religion, Henri IV reprenait à son compte la doctrine chère au vieux chancelier de l’Hospital : « Le couteau vaut peu contre l’esprit ; la douceur profitera plus que la violence. » Si les intransigeans des-deux partis reprochèrent à l’Édit, les uns son existence même, les autres ses imperfections, la masse de la nation, épuisée par les guerres politiques et confessionnelles, comprit, avec son robuste bon sens, toute la portée pacificatrice de la parole royale et toute son opportunité. Là où la contrainte avait échoué pendant quatre-vingts ans, l’œuvre de paix et de paternelle sollicitude triompha ; nul acte n’eut pour l’unité nationale des conséquences plus heureuses ; en reconnaissant à chacun une place dans l’État, en assurant à la conscience le droit de choisir ses voies, Henri IV, sans souci des formules et des théories, avait, par la liberté, donné à l’unité morale des gages et des appuis précieux.