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mêmes impressions par les sens, par l’imagination, par la mémoire, par le raisonnement et par tout ce que l’âme a de facultés, » qui s’emparerait de l’homme « dès le berceau et même avant sa naissance, car l’enfant, qui n’est pas né, appartient déjà à la Patrie ; » il préconise, pour établir et assurer cette unité, l’usage d’un « catéchisme gouvernemental, » dont, un an plus tard, La Chabaussière sera effectivement le rédacteur patenté par la Convention ; il réclame des décrets législatifs « sur le mode de vêtemens qui doit être donné aux enfans des différens âges, depuis la naissance jusqu’à l’adolescence, sur la nature des vêtemens des citoyens, des armes, des exercices, l’appareil des fêtes et toutes les choses d’institution commune. » Saint-Just est d’une rigidité Spartiate : « Les enfans mâles sont élevés de cinq ans à seize ans par la Patrie. Ils sont vêtus de toile dans toutes les saisons, et ne vivent que de racines. Ils couchent sur des nattes et ne dorment que huit heures. » Robespierre enfin lit à la tribune, commente et fait examiner par une commission spéciale le projet posthume de Lepelletier de Saint-Fargeau, où se marient curieusement le résumé de la théorie jacobine de l’Instruction publique et des aperçus sur l’impôt progressif sur le revenu : « Dans l’institution politique la totalité de l’existence de l’enfant nous appartient. La matière, si je peux m’exprimer ainsi, ne sort jamais du moule : aucun objet extérieur ne vient déformer les modifications que vous lui donnez… La patrie seule a le droit d’élever ses enfans ; elle ne peut confier ce dépôt à l’orgueil des familles, ni aux préjugés des particuliers, alimens éternels de l’aristocratie et d’un fédéralisme domestique qui rétrécit les âmes en les isolant, détruit avec l’égalité tous les fondemens de la vie sociale. »

Après tant de projets, de rapports, de discussions confuses et déclamatoires sur le dogme de l’Etat souverain, la Convention rendait, le 29 frimaire an II (19 décembre 1793), un décret au frontispice trompeur. « L’enseignement est libre, » y était-il dit à l’article premier… avec la double et irrécusable obligation pour ceux qui s’y consacrent, « citoyens ou citoyennes, » d’obtenir un certificat de civisme et de « se conformer aux livres élémentaires adoptés et publiés à cet effet par la représentation nationale, » ajoutaient les articles subséquens. Par l’affirmation solennelle inscrite en tête de la loi, la Convention se donnait les apparences de résister aux impérieuses objurgations de la faction démagogique ; il lui répugnait sans doute de proclamer, en droit, le