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Consulat, la France redemandait ses églises et ses écoles ; Napoléon lui rendit les unes et les autres aux applaudissemens de la nation ; mais il les avait, au passage, si bien enchaînées qu’il en fit un instrument de règne, instrument merveilleusement agencé pour sa fin, qu’il légua à ses successeurs, et que ceux-ci trouvèrent si commode, qu’ils se l’approprièrent à leur tour, conservant les rouages essentiels de la machine, s’ils en changeaient le moteur, et s’efforçant, suivant l’heure, d’en modifier radicalement les produits par le transport des points d’application des forces qu’elle engendrait. « Il faut une religion au peuple et il faut que cette religion soit dans la main du gouvernement, » tel est le principe de l’organisation nouvelle des Eglises. Le clergé sera une armée d’Etat, soumise à un grand maître laïque, qui parfois se prend à regretter que les mœurs lui interdisent d’en devenir, en fait, le chef spirituel ; le recrutement de ce clergé, son éducation religieuse, sa nomination sont régis par le pouvoir central ; le Souverain Pontife lui-même, contraint à la résidence forcée, devient en quelque sorte l’un des grands dignitaires de la hiérarchie impériale, pourvu de ses apanages et de ses palais ; et ce que la Révolution n’avait pu faire sans lui, Napoléon entend le faire par lui, car ce qu’il veut, c’est, en fin de compte, « avoir à lui la direction du Pape. » Ainsi est constituée avec ses troupes, ses cadres, ses officiers et son état-major, « la gendarmerie sacrée. » Par là, Napoléon entrevoit « Paris devenant la capitale du monde chrétien, » et lui-même « dirigeant le monde religieux comme le monde politique. »

Cette idée de direction le domine : maître des hommes, il aspire à devenir également maître du dogme, sinon en le créant, du moins en l’utilisant, et, pour ainsi dire, en le canalisant : « Il ne veut pas, dit-il, altérer la croyance de ses peuples ; il respecte les choses spirituelles ; il veut les dominer, sans les toucher, sans s’en mêler ; il veut les faire cadrer à ses vues, à sa politique, par l’influence des choses temporelles, » et c’est ainsi qu’il dose les choses spirituelles, qu’il en formule l’ordonnance, qu’il les catalogue, les délimite. Il ne faut ni « religion dominante, » ni « religion nouvelle, » car « c’est assez des religions catholique, réformée et luthérienne établies par le Concordat ; » il s’institue de la sorte le tuteur des orthodoxies légales où le croyant doit s’enfermer. Ni les conciles catholiques, ni les synodes protestans, ni le sanhédrin israélite ne sauraient y