Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/703

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

Le nain, tel que le conçoit l’imagination populaire, et tel que l’ont décrit les historiens ou que l’ont créé les fictions des poètes, est un être bien fait dans sa petitesse ; c’est un raccourci de l’homme ordinaire ; c’est une réduction à l’échelle, une miniature du type régulier. Il faudrait, d’après cela, refuser le nom de nains à tous les êtres tarés qui forment la clientèle de la médecine, qui doivent leur petitesse à une cause morbide et ne sont point l’exacte copie des exemplaires habituels de l’humanité. Il ne suffit pas, pour faire un nain, que la taille soit exiguë et inférieure à quatre pieds (1m, 25) ; il faut encore que l’organisation soit normale et saine et que les proportions des parties du corps ne s’éloignent pas de celles qui, chez les hommes ordinaires, réalisent plus ou moins parfaitement l’harmonie sculpturale.

Cette définition du nain véritable ne répond pas seulement à l’opinion vulgaire : elle exprime les exigences mêmes des naturalistes qui se sont occupés des lois du développement et de ses anomalies chez l’homme et chez les animaux, « On doit entendre, en tératologie, par nain, dit E. Geoffroy Saint-Hilaire, un être chez lequel toutes les parties du corps ont subi une diminution générale, et dont la taille se trouve ainsi de beaucoup inférieure à la taille moyenne de son espèce et de sa race. » Il ajoute : « Ceux à qui le nom de nains convient dans le sens le plus étendu sont ceux qui, remarquables par leur extrême petitesse lorsqu’ils viennent au monde, présentent, à toutes les époques de leur vie, une taille très inférieure à celle de leur âge ; en d’autres termes, ils naissent nains, restent nains pendant leur enfance, et sont encore nains dans l’état adulte. »

A tant exiger des nains, on risque fort de n’en jamais trouver. Dans la réalité, le nombre de ces nains parfaits doit être extrêmement restreint. Dès que l’on examine attentivement l’histoire de quelqu’un des sujets qui ont été rangés dans cette catégorie, on découvre quelque tare qui l’en exclut[1]. Si l’on ne veut pas que le compartiment

  1. Voici, par exemple, une naine remarquable dont le médecin allemand Nœgelé relate l’observation. Il l’a connue peu de temps avant sa mort, alors qu’elle était âgée de trente et un ans. Sa taille était de 96 centimètres. Son corps était parfaitement proportionné. Elle n’était dépourvue ni d’intelligence ni d’une certaine faculté d’application. Son caractère était aimable. Elle mourut à la suite d’un accouchement difficile. Nœgelé qui fit son autopsie déclare qu’il n’était pas possible de trouver un squelette mieux proportionné : il était sain, sans traces de rachitisme. — Toutefois, un examen plus approfondi révéla une absence de soudure entre les corps des os du bassin. C’est là un trait qui appartient à la jeunesse ou à l’enfance : il dénonce un arrêt dans le développement. Averti par ce signe, si l’on relit attentivement l’histoire de cette naine on constate que par d’autres particularités de son organisation physique ou de son développement mental, elle était plus semblable à une enfant de sept ans qu’à une femme faite. Il y avait donc de l’infantilisme dans son cas ; elle n’était pas une naine parfaite.