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l’étendue de son désastre, et lui rendre, dans les Balkans et en Asie, une part des territoires perdus. Si cher qu’elle dût la payer, il lui importait de la recevoir et surtout d’échapper au tête-à-tête avec le vainqueur.

La Russie, en face de la violente opposition anglaise et du mécontentement sensible des autres Cabinets, se voyait dans l’alternative d’entreprendre une lutte manifestement inégale, ou de céder plusieurs de ses conquêtes récentes. Elle n’avait d’ailleurs jamais espéré préserver toutes les clauses d’une convention qualifiée seulement de « préliminaire, » et toute la question pour elle était d’en sauvegarder le plus grand nombre possible. Puis, elle regardait comme moins pénible de déférer à l’unanimité des Cours qu’aux exigences de Londres : elle se flattait que l’assemblée serait plus impartiale et peut-être plus bienveillante que le Foreign-Office, et qu’en présentant le consentement du Tsar comme un hommage amical et méritoire au vœu de l’Europe, elle obtiendrait une transaction meilleure.


III

Tout concourait donc à provoquer le Congrès et à lui assurer la splendeur d’un mémorable événement, puisque les antécédens historiques d’où il était issu se trouvaient d’accord avec les convenances capitales, ou accidentelles et accessoires, des Puissances. Il est vrai qu’il s’est borné à régler, et encore d’une façon assez timide et équivoque, plusieurs difficultés orientales, et que c’est seulement par voie de déduction, au cours des faits ultérieurs, qu’il a exercé sur les destinées du monde une autorité très énergique, mais posthume. Ce double résultat était toutefois parfaitement logique, et l’opinion générale ne s’y est point trompée : d’un côté, elle a accepté et propagé le prestige du Congrès, sous l’impression du passé et avec le pressentiment de l’avenir, et, de l’autre, elle n’a pas été déçue devant la réserve et l’issue de ses travaux. La grandeur originaire et intrinsèque de l’assemblée et la limitation de son programme, contradictoires en apparence, étaient cependant d’accord l’une et l’autre avec la pensée contemporaine. Sans doute, le Congrès représentait un ensemble d’événemens, de forces et d’aspirations qui justifiait pleinement son appareil, mais on savait aussi que son action immédiate ne pouvait s’affirmer que sur un terrain très