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plus que cent-deux. L’intérêt de cette remarque est, incidemment, d’établir que l’édition de 1587, — la première des éditions posthumes, et soi-disant « revue, corrigée et augmentée par l’auteur, avant son trépas, » — est, en réalité, moins complète que l’in-folio de 1584, qui, de toutes les éditions de Ronsard, passe pour être celle où ses scrupules auraient opéré le plus de changemens, et de retranchemens.

La question se complique encore de celle des « variantes. » Les vers de Ronsard sont assurément les moins « improvisés » qu’il y ait au monde, et je ne crois pas que jamais poète se soit plus « corrigé. » C’est ainsi, et pour n’en citer qu’un exemple, que le premier des Sonnets à Cassandre :


Qui voudra voir comme Amour me surmonte…


n’est le même ni dans l’édition de 1567, ni dans l’édition de 1578, ni dans l’édition de 1584. Ronsard avait imprimé, en 1567 :


Qui voudra voir comme Amour me surmonte
Il connaîtra combien peut la raison
Contre son trait, quand sa douce poison
Tourmente un cœur que la jeunesse enchante ;
Il connaîtra que je suis trop heureux
D’être en mourant nouveau Cygne amoureux,
Qui plus languit et plus doucement chante,

Il corrige, dans l’édition de 1578 :

Il connaîtra que faible est ma raison,
Contre son trait, quand sa douce poison
Corrompt le sang, tant le mal nous enchante !
Il connaîtra que je suis trop heureux
D’être en mourant nouveau Cygne amoureux,
Qui son obsèque à soi-même se chante.


Et il corrige enfin, dans l’in-folio de 1584 :


Il connaîtra qu’Amour est sans raison,
Un doux abus, une belle poison,
Un vain espoir qui de vent nous vient paître.
Il connaîtra que l’homme se déçoit
Quand, plein d’erreur, un aveugle il reçoit
Pour sa conduite, un enfant pour son maître.