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Il y avait beaucoup moins d’ambition dans les trois autres livres, et l’inspiration en est même uniquement horatienne, ou anacréontique. Et, aussi bien, on le sait, — ne fût-ce que pour l’avoir souvent entendu dire, — ni l’application au travail, ni la passion de la gloire ne triompheront-elles jamais en Ronsard du goût très vif de la volupté. La note « bachique, » dont le poète abusera plus tard,


Versons ces roses sur ce vin
Près de ce vin versons ces roses,
Et boivons l’un à l’autre, afin
Qu’au cœur nos tristesses encloses
Prennent en buvant quelque fin…


cette note est rare dans le recueil de 1550. La note épicurienne est plus fréquente :


Jeune beauté, mais trop outrecuidée
Des présens de Vénus,
Quand tu verras ta peau toute ridée
Et tes cheveux chenus
Contre le temps et contre toi rebelle,
Diras en te tançant :
Que ne pensais-je, alors que j’étais belle,
Ce que je vais pensant…


Faisons seulement observer que, s’il y a là de l’épicurisme, il y a de la mélancolie dans cet épicurisme, j’entends cette mélancolie qui sort, comme l’a dit Lucrèce, de l’épicurisme même et du sentiment de la brièveté de nos joies. L’idée de l’Amour et celle de la Mort s’associent volontiers, ou plutôt s’attirent l’une l’autre dans l’imagination de Ronsard. Il est grave et sensuel à la fois. Et tout cela suffisait à faire déjà de son premier recueil, et quand il n’aurait que ce mérite unique, le recueil le plus varié qu’on eût encore vu dans notre langue.

Cette variété se retrouve dans les combinaisons de mètres et de rythmes qui ont fait de lui, dès ses premiers débuts, et pour trois ou quatre cents ans, l’un des grands « inventeurs » qu’il y ait dans l’histoire de notre poésie. Si l’on veut se donner la sensation très nette de ce qu’il y a d’ingéniosité, de souplesse, d’adresse dans la rythmique de Ronsard, plus encore que dans sa métrique, on n’aura qu’à comparer les Odes avec les maladroites et pénibles inventions de Marot dans sa traduction des Psaumes. Strophes de dix, douze, treize, quinze, seize, dix-huit, vingt vers, toutes ces massives architectures, dont il en reprend