Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/781

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et il la revoit enfin, au jour de son départ, emportant avec elle, dans sa brumeuse Écosse, le charme de la Cour de France, et l’inspiration des poètes :


Les roses et les lys ne règnent qu’un printemps.
Ainsi votre beauté seulement apparue
Quinze ans en notre France, est soudain disparue ;
Et d’elle n’a laissé sinon que le regret,
Sinon le déplaisir qui me remet sans cesse
Au cœur le souvenir d’une telle Princesse…


Si l’on a pu disputer sur la nature des sentimens de Ronsard pour Cassandre Salviati, ou pour Marie Dupin, on ne saurait douter de ceux qu’il a éprouvés, de loin, et d’en bas, pour Marie Stuart. « Ah ! frère mien, » fait-il dire à Charles. IX, s’adressant à l’ombre de son frère François II :


Ah ! frère mien, tu ne dois faire plainte,
De quoi ta vie en sa fleur s’est éteinte !
Avoir joui d’une telle beauté
Sein contre sein, valait ta royauté !
[Édition de 1584, p. 752.]


Nous étonnerons-nous après cela que le souvenir de cet amour, — osons écrire le mot, — ait retenu Ronsard dans le parti de la Cour et des Guises ? Et que trouvera-t-on de plus naturel, si ce qu’il a aimé de Marie Stuart et en elle, c’est précisément ce qu’en abhorrait le puritanisme farouche et féroce d’un Knox.

Il a eu toutefois d’autres motifs d’écrire ses Discours. L’indignation, la juste colère, dont ils sont l’éloquent témoignage procèdent aussi d’une source plus haute ; et là même est l’intérêt de cette partie de son œuvre que, dans ce gentilhomme vendômois, qu’on ne croyait occupé, quand il se sentait las de fouler les traces d’Homère et de Pindare, que de soupirer élégamment ou de rimer des « mascarades, » nous voyons apparaître un Français de son temps, de ceux pour qui la France est quelque chose de plus qu’une « expression géographique, » et vraiment une personne, une mère, et une mère passionnément aimée :


De Bèze, je te prie, écoute ma parole.
La terre qu’aujourd’hui tu remplis toute d’armes,
Et de nouveaux chrétiens déguisés en gens d’armes,