Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assure leur immortalité Ronsard, dans ses Discours, a fixé quelques-uns de ces aspects de la vie de son temps, et de la vie de tous les temps. Et, en effet, tout en s’inspirant de la réalité prochaine, c’est encore un des caractères des Discours des Misères de ce temps qu’ils s’en dégagent ; ou, pour mieux dire, ils en dégagent ce que toute réalité contient toujours d’« universel, » et ils en fixent ainsi l’apparence transitoire sous un aspect d’éternité.

Pour toutes ces raisons, et par tous ces moyens, les Discours de Ronsard, dont son école ne devait pas faire moins de cas que de ses Odes elles-mêmes ou de ses Amours, se trouvent avoir déterminé l’orientation de la poésie française dans un sens, non pas précisément contraire, si l’on veut, à celui des premières et trop aristocratiques ambitions de la Pléiade, mais différent ou divergent. L’idéal ne sera plus désormais de s’enfermer et de se complaire en soi, dans la solitude orgueilleuse et fastidieuse — pour les autres, — de son propre génie. Les Discours, en tendant vers leur but, et pour l’atteindre, ont créé un vers propre à l’action, rebus agendis, qui n’est encore, en 1562, que celui de la satire actuelle, mais qui sera quelque jour, par une singulière coïncidence, comme il est arrivé de l’ïambe grec, le vers même de la tragédie.


Sceptre, qui fut jadis la terreur des Barbares…


C’est déjà le tour et l’accent des vers :


Fer, jadis tant à craindre et qui dans cette offense
M’as servi de parade et non pas de défense !


Il y aura du Ronsard dans Corneille ; et il y en aura jusque dans Hugo ! L’éloquence a pris et conquis, dans la poésie française, une place qui ne cessera plus d’être la sienne, qui deviendra même la première, et à laquelle peut-être sacrifiera-t-on d’autres qualités, mais qui, d’autre part, et en revanche, assurera notre pouvoir de propagande. On dira en vers des choses qu’il semblera qu’on pourrait dire en prose, et, à la vérité, ce ne sera souvent qu’une illusion, — on ne mettrait pas en prose les Discours de Ronsard, — mais ce sera comme un hommage rendu aux qualités de clarté, de précision, de concision, de force et de rapidité, de mouvement et d’action, qui déjà sont celles des Discours, et qui vont devenir celles de notre poésie. On ne « délirera » pas