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est roi et monarque dans le cercle de son domaine et de son pouvoir, mais ce n’est pas la masse des individus qui-crée le roi. La souveraineté n’est que la ratification d’un fait, de ce fait naturel que le plus puissant règne : le souverain a des droits plus étendus que les autres hommes, mais non pas d’autres droits.

Voilà les principes qui, d’après Haller, sont appelés à devenir la profession de foi de tous ceux qui combattent le jacobinisme avec les armes de la science ; voilà, dans toute sa logique, la « contre-révolution de la science. » Il semble, de prime abord, qu’en refusant au peuple toute part à l’élection primitive de ses chefs, il ébranle le fondement même des revendications populaires, et que sa théorie sur la genèse du pouvoir ne puisse aboutir qu’à des maximes d’absolutisme. Mais ce n’est là qu’une apparence ; car si vous suivez jusqu’à épuisement l’idée de Haller, vous constatez que, dans son système, l’État disparaît. Or il n’y a pas d’absolutisme sans un État qui l’incarne ou tout au moins qui l’encadre. Le droit de conscription et le droit d’imposer arbitrairement les sujets, qui sont les deux prérogatives d’un État absolutiste, sont formellement déniés au souverain, tel que Haller le conçoit ; car « la guerre du prince est sa propre guerre » et ne concerne que ses propres intérêts, et le souverain très riche qu’est le prince ne peut pas disposer de la propriété de ces petits souverains minuscules que sont les particuliers. Le fonctionnarisme, qui est l’instrument d’un État absolutiste, est une institution à laquelle Haller refuse toute raison d’être ; car il ne doit exister aucune différence entre ce qu’on appelle les fonctionnaires et les « serviteurs des particuliers opulens. »

La théorie de l’état social, dessinée par Haller, n’est rien autre chose, en définitive, que la description d’un régime féodal, description purement empirique, dans laquelle les droits des puissans sont très limités, mais dans laquelle les obligations attachées à l’exercice de ces droits ne paraissent pas suffisamment fondées. Haller invoque, pour étayer et proclamer le devoir des souverains, les lois de justice et de charité ; mais elles ne font pas corps avec l’ensemble du système ; elles s’ingèrent comme des correctifs dans ce féodalisme, où l’on peut se demander, bien souvent, si le droit n’est pas issu de la force. Tandis que la théologie catholique professe sur l’origine du