Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/812

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allume sa splendeur éblouissante et presque cruelle. Jusque-là, le Nord abaisse un ciel de suie, un brouillard opaque, une humidité glaciale, les épreuves les plus moroses de l’hiver. Dans la population, mêmes contrastes, et mêmes mélanges. Au Nord elle appartient par la gravité, la coutume de ne rien résoudre qu’après réflexion, la volonté de connaître à fond les affaires où elle s’engage, la persévérance de les suivre jusqu’au bout, l’art d’en combiner patiemment les chances. S’agit-il d’exécuter, elle ajoute à ces dons la promptitude, l’audace, l’ardeur : les œuvres plantées dans le froid, grandies dans l’ombre, semblent mûrir soudain par un coup de soleil. C’est l’heure du Midi, et du Midi ce sont parfois les impatiences, les fièvres, les fureurs. Mais, même alors, l’enthousiasme garde quelque chose de taciturne, le feu jaillit d’un foyer intérieur que les étincelles n’épuisent pas, les excès ont un air médité qui les rend plus terribles : le Midi s’agite, le Nord le mène.

Où les hommes sont à la fois réfléchis et passionnés, les doctrines qui se disputent le monde trouvent leurs soldats les plus persévérans. Lyon est une place forte des idées. Dans son enceinte même, elles s’élèvent rivales comme ses collines, voisines et séparées comme les deux fleuves qui la traversent sans mêler leurs eaux. C’est à Lyon que le christianisme commença de conquérir la Gaule, et nulle part il ne s’est fortifié d’une tradition plus vivante, de vertus plus utiles, d’œuvres plus nombreuses : mais nulle part ne se sont senties plus provoquées par cette énergie de la foi, les doctrines et les haines de l’impiété. C’est à Lyon, que, dès le moyen âge, le travail de la soie a préparé la puissance et les vices de la grande industrie ; là qu’entre les patrons et les ouvriers s’est le plus tôt élevée la querelle pour le partage de la richesse produite par leur commun effort. Religieuses ou sociales, ces doctrines n’ont pas divisé en deux champs clos, ici les contemplateurs de l’invisible, et là les transformateurs de la richesse : les uns et les autres, heurtant les unes contre les autres dans une seule mêlée, ont voulu ordonner par l’unité d’une même synthèse le monde de la matière et le monde de l’esprit. Les croyances chrétiennes semées en des âmes sérieuses ont fait les mœurs de la bourgeoisie, son existence familiale, sa constance dans le travail, sa probité dans le gain, sa modestie dans la richesse ; en même temps, ces vertus disposaient ces privilégiés à répandre sur la multitude obscure, où leur conscience