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l’ensemble de ses œuvres, pourtant elle n’était plus en tout égale à son passé. Le luxe contagieux l’avait touchée et ce qu’il enlevait à ses mœurs simples, la rendait moins respectable au peuple. Sous un Napoléon protecteur des croyances, elle avait jugé superflu de les sauvegarder elle-même comme sous Louis-Philippe : or, depuis la guerre d’Italie, Napoléon, suspect aux fidèles à cause du sort fait au Pape, s’était montré inattentif aux attaques dirigées contre eux, et les catholiques lyonnais se trouvaient à la fois compromis par leur adhésion politique à l’Empire et déshabitués de cette défense religieuse que l’Empire désertait. Pour demeurer fidèle à la foi, il faudrait à la multitude trop de victoires sur elle-même. Son sort la tourne contre ses maîtres en christianisme, qui lui semblent prêcher trop de parole et pas assez d’exemple, contre la bonté d’un Dieu qui la laisse malheureuse, contre la duperie d’une patience qui ne guérit rien. Sans orateurs, sans journaux, elle n’a pas de pensée publique, ne recueille que celle des autres, et instruit par ces voix du dehors, le prolétariat lyonnais se détache de l’Eglise. Mais, tout en les écoutant, il a entendu en lui-même une voix qui modifie et complète la leçon.

Lui et la bourgeoisie ne jugeaient pas l’Eglise de la même place. Les bourgeois n’ont jamais besoin des œuvres qu’elle a organisées pour le soulagement des détresses humaines ; sa charité, dont le bénéfice n’est pas pour eux, leur est même onéreuse par les devoirs qu’elle leur rappelle. Ils n’ont de rapports avec elle que par ses doctrines : c’est par ses idées sur la raison, sur l’omnipotence de l’homme, sur l’infaillibilité du libre arbitre qu’ils entrent en conflit avec elle, et, quand ils rompent, c’est par colère contre son enseignement, qui est une humiliation pour leur orgueil. Le pauvre ne tient pas la tête si superbe ; penchée par la souffrance, elle se dresse moins vers la domination, et c’est par la souffrance que le pauvre entre en contact avec l’Eglise. Les remèdes qu’elle a préparés à l’ignorance, à la maladie, à l’abandon, à la faim, sont les remèdes dont il a besoin. L’Eglise pour lui n’est pas celle qui discute, mais celle qui secourt ; pas celle qui refuse, mais celle qui donne ; pas celle qui apporte des humiliations à l’orgueil, mais celle qui apporte des secours à la faiblesse. A Lyon, tout homme du peuple avait eu quelque part à ces bienfaits, et sur ces souvenirs s’émoussait la pointe des colères aiguisées par les intellectuels. Il se détachait de