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Cette délégation ne fut pas l’escamotage ailleurs habituel à ceux qui, sans consulter personne, se déclaraient les mandataires de tous. Cette prétention audacieuse était à l’usage des bourgeois assez connus pour que, si la naïveté publique croyait au vote dont ils s’autorisaient, le choix de leurs personnes parût vraisemblable, et que leur notoriété donnât crédit à leur imposture. Les bourgeois révolutionnaires de Lyon songèrent à ce moyen[1]. Mais, à Lyon, ils avaient trop peu de forces pour s’imposer sans le concours des prolétaires, et les meneurs des prolétaires étaient trop ignorés pour que leur prétendue désignation par la grande ville ne fût pas un évident mensonge. Chacun de ces obscurs ne pouvait paraître choisi que par un petit groupe ; ils avaient besoin de circonscriptions à la taille de leur influence : c’est pourquoi ils décidèrent que les délégués ne seraient élus ni par la ville entière, ni même par les quartiers de la ville, mais par les sections de quartier. Or, à ces foyers de vie minuscules où nul événement ne passe inaperçu, il eût été impossible d’annoncer les choix de la voix populaire, si elle n’y avait pas été interrogée. Il fallut donc consulter quelque peu, sinon tous les habitans, ou même tous les démocrates, du moins ceux qui avaient influence dans un corps d’état, dans un atelier, dans une rue, dans une maison. Ce travail fut provoqué et centralisé par un comité qui siégeait à la Croix-Rousse. Presque tous les petits collèges où l’enquête se fit préférèrent un homme sans culture, sans éloquence, nul hors de son quartier, mais là connu par toutes les habitudes de la vie quotidienne, accrédité par toute la force de la présence réelle, à un de ces candidats qui flattent l’amour-propre des mandans, mais leur restent lointains comme une silhouette entrevue un instant, une voix applaudie à une tribune, un nom répété dans les journaux. Tout organisé en secret, on n’attendit plus pour agir que la permission d’un grand malheur.

Ce malheur fut Sedan. La nouvelle envoyée par les francs-maçons de Genève à leurs frères lyonnais[2] fut connue d’abord des révolutionnaires. Ils la gardèrent pour eux, et l’avance leur donna le loisir de préparer leur effort, qu’ils résolurent de faire

  1. « Un groupe de républicains convaincus, Barodet, Ganguet et autres… pensa donc que le mieux à faire était de dresser une liste des citoyens susceptibles d’une candidature, de la faire adopter par le peuple du haut du balcon de l’Hôtel de Ville, quand l’heure serait venue, et de constituer ainsi, à Lyon, le pouvoir républicain. » Louis Garel, la Révolution française, p. 18.
  2. Lyon en 1870. Note inédite de M. Albert Richard.