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national, et au pouvoir national les décisions de la Commune.

Dans le silence, dans l’immobilité des attitudes, dans la violence des regards, Challemel reconnut une de ces obstinations qu’on ne persuade pas. Sans contredire le principe de l’autonomie lyonnaise, lui, dévoué par toute la force de son intelligence autoritaire, par toutes les ardeurs de son caractère inflexible, à l’omnipotence de l’État, se borna à soutenir que l’unité de vues et de mesures était en ce moment nécessaire pour délivrer la France de l’étranger. À ces mots une voix s’écrie : « Les Prussiens ! nous nous en occupons bien ! » À cette parole aucune protestation, pas un murmure. Challemel, arraché par la révolte de son patriotisme à la résolution de ne rien contredire, trouve des accens qui, soudain, révèlent en lui l’autre homme, le vrai, l’impérieux, l’inflexible, le violent par amour, le dévot des gloires historiques et républicaines, le fils qui ne renonce pas aux frontières tracées avec le sang des pères. Au souffle de 1792, il purifie l’atmosphère où a retenti le blasphème. Et à cette passion contenue et puissante se fond la glace de cette assemblée. Les uns, qui aiment encore comme lui la France à la vieille manière, lui sont reconnaissans de rappeler les périls de l’heure ; d’autres ne sont pas si fanatiques de la nouveauté humanitaire qu’ils restent insensibles à la piété nationale dont ils se croient guéris ; les autres dont il blesse les idées lui savent gré de son courage, et son imprudence sert mieux sa cause que toute habileté. On l’applaudit. Mais cette faveur n’est faite qu’à sa personne, et, pour conserver ce premier avantage, il lui faut accepter sans réserve la doctrine de l’assemblée sur l’indépendance de Lyon.

Encore, avant de l’admettre à demeure comme intermédiaire entre la Commune et l’Etat, le Comité tient-il à s’assurer que l’ambassadeur mérite confiance. C’est pourquoi on pose à Challemel une longue suite de questions. Ce penseur, qui avait médité durant des années sur les matières du gouvernement, ce maître en l’art de dire, fut appelé à prouver l’orthodoxie de ses idées devant un concile d’artisans, et à gagner son brevet de civisme devant les mandataires de toutes les ignorances. Durant trois heures, il supporta l’épreuve. Il tenait à être toléré. Il le fut, et l’affiche suivante annonça en ces termes à Lyon le résultat de l’entrevue : « Le Comité de salut public a reçu le citoyen Challemel-Lacour, délégué du gouvernement provisoire. De