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Elle s’exerce, au contraire en d’autres régions et avec des excès qui atteignent, à Marseille et à Lyon, leur plénitude dans leur diversité. A Marseille, c’est une coalition de petits bourgeois et de prolétaires qui s’empare de la ville, les uns et les autres avec une ardeur violente, et dans une course de vitesse ; mais ils n’apportent à ce pouvoir que cette promptitude où le tempérament décide pour la raison, et ils exercent le pouvoir qu’ils surprennent en gens tout surpris eux-mêmes de l’occuper. En eux, malgré la redondance des mots, pas d’idées de gouvernement, une confiance dans leur souplesse, qui leur permet de se retourner sans souci de se contredire, et de garder leur équilibre, c’est-à-dire le pouvoir. Car c’est à lui seul qu’ils tiennent. Et de même tiennent seulement à l’avantage conquis les cinq cents « travailleurs » qui se sont avec eux installés à la Préfecture. Infime minorité de prolétaires, que font-ils pour leurs compagnons ? Ils ne songent qu’à protéger contre ces compagnons le monopole imprévu où ils ont trouvé pour eux-mêmes la solution du problème social. Caïmans paresseux au soleil, terribles pour défendre leur proie, ils n’ont que des cupidités, avec toute la puissance que donnent la voracité de l’instinct et la chaleur du climat. Tous représentent les appétits égoïstes, pour lesquels la révolution n’est qu’un pillage de l’autorité.

A Lyon, le hasard au contraire semble éliminé des événemens par un long travail de la démagogie. Elle saisit le pouvoir avec un calme où il y a plus de force que dans tout emportement. Ce n’est pas une dizaine de journalistes, de commis, avec cinq cents déchargeurs, qui pourraient dominer une telle ville. Le gouvernement que cette démagogie soutient a été désigné par elle, il est soutenu par tous les prolétaires et tous les prolétaires vivent de lui. En même temps qu’une organisation, il a des volontés, les proclame, les applique, et, par là, accroît son autorité sur une multitude dont il sert les passions. Il veut donner aux pauvres la fortune des riches, il veut soustraire Lyon à l’obéissance de l’Etat, il veut briser au profit de la commune l’unité de la France. La révolution n’est plus là un jeu d’adresse au profit de la bourgeoisie habile, ou au profit des premiers venus le pillage du pouvoir, elle est, au profit du prolétariat, la destruction de la société.


ETIENNE LAMY.