Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/898

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une commune et égale obéissance aux lois. Comment le ministère Combes assure la stabilité de l’existence nationale ? les actes de M. le général André et de M. Camille Pelletan répondent ; — la grandeur du pays ? M. Combes lui-même répond par ses déclarations sur le protectorat des chrétiens en Orient et en Extrême-Orient ; — l’obéissance aux lois ? M. Combes répond encore par son attitude constante, sinon par ses instructions de dernière heure et à légalité intermittente, dans les grèves et les manifestations socialistes, anarchistes, anticléricales. Le ministère Combes ne remplit donc aucune des fonctions qu’un gouvernement doit remplir pour être un gouvernement ; ce n’est donc pas un gouvernement ; et pourtant on le tolère. Il faut qu’il ait un secret, un procédé, un truc pour se faire tolérer, et, tout en étant coté par ses propres soutiens aussi bas que ministère puisse l’être, pour se perpétuer à la fois par eux et malgré eux. — Lequel ?


III

Le pire vice du régime indéfinissable qui est le nôtre depuis une vingtaine d’années, c’est ce que l’on pourrait nommer, ce que l’on a déjà nommé « le grand mensonge de la parole publique ; » c’est que, comme on l’a déjà remarqué, ce régime est tout entier construit « en porte-à-faux sur le mensonge : » entendez le mot sans injure et traduisez par le désaccord intime, le manque absolu de correspondance entre le symbole signifiant et la réalité signifiée. Il n’est personne, pour peu qu’on ait de précision et de probité intellectuelle, qui n’en soit à chaque instant choqué et irrité. Quand on lit ou quand on entend une harangue officielle, on se demande si l’on rêve, si véritablement présidens, ministres, sénateurs et députés voient les choses comme ils les peignent, toutes bleues et toutes roses, ou si l’on n’est pas soi-même atteint d’une sorte de daltonisme politique, qui les fait voir tout en noir, et qui ne serait autre qu’un pessimisme boudeur. Celui-ci ne parle que de « bonté ; » ceux-là, que de « liberté, d’égalité et de fraternité ; » tous, que de « solidarité. » Et il va de soi que l’on peut tout dire, si rien ne veut plus rien dire.

Un Anglais en accuserait probablement l’abus des « généralités » que nous avons fait depuis la Révolution française et qui,