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Le jour de mon départ, il me fut donné d’être témoin d’un événement historique : la remise officielle de la ligne au gouverneur général chinois de la Mandchourie. Depuis la dernière guerre, la voie entre Niou-tchang et Hankou-chwang avait été sous le contrôle militaire de la Russie, tandis que l’autre, entre cette dernière ville et Tien-tsin, était administrée par les forces britanniques. Il y eut de grandes fêtes. Les bâtimens de la station étaient décorés avec toute la pompe du goût oriental. Partout des mâts vénitiens, des bannières flottantes, des inscriptions chinoises, des trophées russes, des guirlandes de laurier symbolisant la victoire et des branches d’olivier évoquant une paix éternelle. Les fastueux mandarins et les généraux russes, chamarrés d’or et de décorations, échangeaient force saluts et révérences en signe de mutuel respect. Sans aucun doute, on doit trouver son compte à l’opération des deux côtés, tant on a l’air vraiment satisfait. La journée se passe à l’exécution d’un interminable programme, et si j’avais quelque aptitude au journalisme, j’aurais pu écrire plusieurs colonnes sur la « remise officielle de la ligne de l’Est chinois par la Russie à la Chine. » J’aurais pu m’engager dans des descriptions sans fin de réceptions, présentations de bouquets, somptueux banquets avec flots de champagne et toasts. Mais le meilleur correspondant lui-même n’aurait pu en dire plus que moi sur le fait principal de la remise actuelle du chemin de fer, ni percer la brume qui nous cache si ce chemin de fer est vraiment devenu la propriété de la Chine ou non.

Le pays entre Niou-tchang et Hankou-tchang est d’abord plat et sans intérêt, mais riche au point de vue agricole. Aux approches de la mer, il devient plus varié et certaines parties sont tout à fait pittoresques ; quelques-unes des baies de la Mer-Jaune, qui en réalité est ici du bleu le plus intense, sont pareilles à des fjords, dominés par des pics déchirés. Nous avançons lentement et nous faisons halte à de nombreuses stations où je vois encore plus de soldats russes que de Chinois. Il était tard dans la soirée quand notre train passa avec fracas à travers la brèche de la fameuse Grande Muraille. Je dois reconnaître que je ne pus m’empêcher d’être impressionné. Cette énorme masse, une des plus colossales que des mains humaines aient jamais élevées, se montre ici dans tout son avantage, longeant les collines escarpées et à plusieurs reprises couronnant les plus hauts pics de ses remparts, pour dévaler enfin jusqu’aux plaines et dis-