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pas plutôt posé cette question que mon attention est attirée par un désordre. Des coolies qui traînent des légumes sont en train de se battre royalement, et deux gamins se donnent l’assaut. Mais la sentinelle reste impassible. À en juger sur son air, elle approuve plutôt qu’elle ne condamne. Elle n’a évidemment pas l’intention de maintenir la paix ; cela ne semble pas être le moins du monde dans sa consigne. Ainsi les coolies peuvent se battre de tout leur cœur parmi les choux. Je dirai même en passant que ce groupe forme un curieux tableau, les coolies en blanc, avec leur charge de légumes sur le dos, au plus fort de la bagarre. Le plus petit des deux gamins se met à crier quand le sang coule de son front. Cela non plus ne touche pas le soldat. Il marmotte quelque chose entre ses dents ; sans doute que le métier de Croix-Rouge n’est pas son affaire. À mesure que j’avance, j’entends plus de criailleries et de querelles et je suis témoin d’un peu plus de petites escarmouches. Pour la première fois maintenant, je me rends compte que je ne suis plus habitué aux disputes et aux batailles : car, en Chine, je n’ai jamais vu deux hommes se battre. Les Chinois peuvent en savoir gré à leur civilisation millénaire.

J’arrive maintenant près d’un vaste édifice qu’on est en train de restaurer. Il a un toit pointu à larges bords, pareil à ceux du Palais de Pékin. Il y a toute une forêt dans le bois de ces poutres. Tandis que j’observe la précision avec laquelle les ouvriers assemblent les diverses pièces sans faire usage de clous, je me réjouis que les traditions de l’ancienne architecture ne soient pas encore éteintes.

Me voici dans le voisinage du Palais royal. En avant de la principale porte est une grande place qui, au delà, devient une rue bordée de chaque côté par des édifices publics. Ce sont les Ministères où se déroulent les intrigues du gouvernement coréen.

Extérieurement, le Palais n’a guère rien qui le distingue. La façade est assez basse. Les murs sont en torchis et les portes, qui ne valent pas beaucoup mieux, sont dans le style chinois, avec toit de tuiles. Ces portes, grandes ouvertes, donnent accès dans une vaste cour intérieure où il y a une quantité de chaises à porteurs, les unes ordinaires, les autres de cérémonie. Une foule de domestiques, d’employés et de coolies se chauffent au soleil ; d’autres jouent à une sorte de foot-ball.