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Le Coréen ressemble en cela à l’Italien ou à l’Espagnol ; il n’est jamais si heureux que quand il est dehors. Il se tient sur le pas de sa porte ou se chauffe dans sa cour ensoleillée, ou bien il allume sa pipe pour aller et venir dans une flânerie qui dure des heures. Son maintien est lent et digne. Je me demande où il va et à quoi il pense. Il ne va nulle part et ne pense à rien. Je ne puis dire qu’une chose : il flâne. Il n’y a pas de mot juste, dans aucune autre langue, pour ce désœuvrement où concourent l’indolence physique, le laisser aller du corps, le vide de l’esprit. De temps en temps, un simple soldat passe. Il est l’homme de l’avenir. S’il n’apprend pas autre chose dans la cour de la caserne, il apprend du moins à marcher. On lui a fait couper sa natte. Tout d’abord, il l’a pleurée, car cet ornement de sa tête représentait un principe général ; en le perdant, il a été lancé à la dérive, loin de toutes ses vieilles habitudes et traditions. Mais, en enfant qu’il est au fond de son cœur, il oublie bientôt sa natte, et ses traditions aussi, et aujourd’hui il est fier de la métamorphose. En homme de progrès et d’avenir, il regarde avec mépris les vêtemens blancs, les sandales et les chapeaux de ses compatriotes.

En rentrant à l’hôtel, je trouve un visiteur qui m’attendait. C’est le ministre de Grande-Bretagne. Il a appris mon arrivée et il est venu m’offrir l’hospitalité, mon pays n’ayant pas de Légation dans la ville. L’hôtel de Paris, à Séoul, est neuf, propre et bien aménagé ; j’aime mieux ne gêner personne et rester mon maître. Je le dis franchement au ministre et nous nous arrêtons à un compromis : chacun reste libre d’appliquer son programme quotidien et de suivre ses occupations habituelles ; nous ne nous verrons pas jusqu’à une heure, et quant à l’après-midi, tout dépendra des circonstances.

La Légation de Grande-Bretagne est de l’autre côté du nouveau Palais. C’est une jolie maison de campagne, avec loggia. Elle est bâtie sur un terrain en pente et entourée d’un jardin. La maison du secrétaire est dans une autre partie des terrains et l’on construit un pavillon de garde à l’entrée. Au dedans, un type d’intérieur anglais, tel que nous le présentent les maisons des classes aisées dont le principe fondamental est le fameux : « Mon logis est mon château fort, » et où la vie de famille du home nous frappe si fortement et si agréablement. L’idée du home est un des remparts de la Grande-Bretagne.