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offrons, le Sultan doit les accepter librement, et cette partie toute diplomatique de notre tâche n’est pas la moins délicate. Nous avons à convaincre le Sultan de la parfaite loyauté de nos intentions à son égard, et que nous entendons n’être ni ses maîtres, ni même, à proprement parler, ses tuteurs, mais bien ses collaborateurs dévoués. Dirons-nous aussi désintéressés ? Non, car nous avons intérêt à ce que le Maroc entre dans les voies de la civilisation, et à ce que ces voies lui soient ouvertes par nos soins. Mais, comme l’a dit un jour M. Thiers, on ne peut pas exiger d’une nation, pas plus que d’un individu, qu’elle renonce à son intérêt particulier : tout ce qu’on peut lui demander, c’est de le bien placer, et où pourrait-il être mieux placé que dans l’intérêt général ?

Cette conception de notre rôle au Maroc est assurément très élevée : elle fait honneur à M. Delcassé. Mais, ici encore, ne connaissant pas les moyens destinés à la réaliser, ou ne les connaissant que très imparfaitement, nous devons faire des réserves. On a beaucoup parlé de pénétration pacifique. Le mot n’est pas nouveau assurément, mais la chose le sera si, comme nous le désirons encore plus que nous ne l’espérons, elle s’exécute jusqu’au bout. Il faudra pour cela, non seulement l’unité d’action que nous avons revendiquée auprès des autres puissances et dont nous avons obtenu de leur part la reconnaissance à peu près complète, mais encore celle que nous aurons à réaliser nous-mêmes, et sur nous-mêmes. Il faudra coordonner tous les élémens de cette action et leur donner une impulsion unique, ce qui a été malaisé dans tous les temps, et ce qui l’est encore davantage avec un gouvernement aussi décousu que le nôtre. La solution du problème marocain n’est pas comprise de la même manière par les militaires, par exemple, et par les diplomates. L’Algérie aussi a ses vues particulières. Il en résulte des tiraillemens qui ont été plus d’une fois sensibles dans ces derniers temps : puissent-ils ne pas se reproduire à l’avenir, c’est-à-dire au moment où nous serons vraiment engagés dans la tâche autour de laquelle nous nous sommes contentés jusqu’à présent de tourner. Qu’elle soit absolument réalisable ou non, la pénétration pacifique doit rester notre principe : nous ne pourrions nous en écarter sans rencontrer des difficultés et bientôt des dangers de toutes sortes. Ces difficultés et ces dangers auraient été immédiats, si nous n’avions pas réussi à nous entendre avec les puissances étrangères le plus directement intéressées aux affaires du Maroc. Nous ne voulons pas dire par-là que ces puissances, inquiètes ou jalouses, se seraient mises directe-