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bery n’aurait plus rien à dire. Et quelle objection pourrait faire M. Chamberlain ? Il n’en aurait sans doute fait aucune, quel que soit d’ailleurs son sentiment intime et profond sur l’opportunité de la conférence, si elle avait dû se réunir tout de suite et s’il avait été bien entendu que son verdict serait définitif. Mais M. Balfour n’est pas pressé. Oh ! non, il n’est pas pressé, M. Balfour. Quand la conférence aura donné son avis, il faudra encore le soumettre, à qui ? Aux Parlemens de tous les pays qui y auront été représentés ? Sans doute, mais en passant d’abord par leurs électeurs. Les électeurs se prononceront les premiers : cela épargnera aux partis la peine de chercher des plates-formes électorales. Les Parlemens se prononceront ensuite. Tout cela sera long ! Et puis, que seront les élections prochaines, en Angleterre même ? Laisseront-elles le pouvoir aux conservateurs ? Ne le donneront-elles pas aux libéraux ? La seconde hypothèse est la plus vraisemblable, et les conservateurs cherchent à s’en consoler d’avance en caressant l’espoir que les libéraux auront une majorité si faible qu’elle ne leur permettra pas de vivre plus de deux ans. Mais qui sait ? Il y a tant d’imprévu dans les élections ! N’importe : ces délais n’effraient pas M. Balfour, il a cinquante-six ans ; mais ils effraient M. Chamberlain, il en a soixante-huit. Et voilà pourquoi M. Chamberlain s’est écrié dans son discours de Luton : « Je ne puis comprendre la nécessité de ce plébiscite, impliquant deux mandats, deux élections générales sur le même sujet… Si, après avoir conclu un arrangement avec vos compatriotes, vous suspendez la question jusqu’au moment où chacune des législatures coloniales et celles de la mère patrie auront été réélues, en vue de ratifier un arrangement dont le principe avait déjà été accepté, combien de temps cela durera-t-il ? »

C’est le mot de la situation : il est sorti avec angoisse du fond du cœur de M. Chamberlain. Cela durera quatre ans, cinq ans, plus peut-être et, pendant ce temps, il peut se passer bien des choses ! Beaucoup de gens commencent à penser, en Angleterre, que M. Balfour a mis dans toute sa conduite plus de calcul et, qu’on nous passe le mot, de malice qu’on ne l’avait cru d’abord ; et que M. Chamberlain, qui espérait se fortifier, en se libérant par sa sortie du ministère, s’est effectivement affaibli. Ses moyens d’action n’ont évidemment pas augmenté. Un homme d’une volonté moins énergique pourrait même éprouver quelque découragement ; mais ce sentiment lui est étranger. Il peut toutefois s’apercevoir qu’il est plus facile d’entraîner l’Angleterre à faire la guerre à des républiques lointaines qu’à changer son régime